Alors que Vucic a enregistré un score historique aux élections présidentielles serbes, la remportant sans même avoir besoin de second tour, nous nous préparions à terminer ce dossier spécial élections. C’était sans compter sur l’apparition de manifestations spontanées contre « la dictature de Vucic », rencontrant un certain succès à Belgrade. Voici donc une quatrième partie à notre dossier en trois parties, qui revient sur les espoirs déclenchés par ces cortèges, mais aussi sur leurs limites.
Les jeux sont faits… oh… wait !
Ça y est, Vucic est élu, au premier tour. Les sondages prédisaient entre 53 et 55%, il a fait 55%, au premier tour. Il s’agit là d’un score historique, qui n’avait pas même été atteint par Slobodan Milosevic à son plus haut, en 1992.
Tout s’est passé comme prévu. La victoire a, au final, été peu célébrée, si ce ne sont quelques feux d’artifices ça et là, tant cela semblait normal que Vucic accède à la fonction suprême.
Nous nous apprêtions donc à clôturer la couverture de ces élections, lorsque lundi, une manifestation spontanée contre cette victoire a eu lieu, et a rassemblé, à la grande surprise, plusieurs milliers de personnes (l’opposition au SNS parle de 10000 personnes, ce qui semble cependant surévalué). Puis une nouvelle, hier, qui a réuni à peu près la même foule, protestant contre « la dictature de Vucic ».
Vu de France, cela semble peu, mais c’est déjà plus que n’importe quel meeting de l’opposition durant ces élections, plus que la plus grande des manifestations contre Beograd na Vodi. Une protestation qui s’est déroulée dans le calme, sans violence. Dans l’histoire politique serbe récente, il s’agit d’un évènement singulier.
Dans les cortèges, certains se mettent à espérer changer le cours de cette élection. Collusion entre le pouvoir et les principaux médias, pressions du SNS sur certaines parties de la population, mainmise du premier ministre sur l’administration… les manifestants accusent le pouvoir d’avoir pipé les dés du scrutin, en l’ayant joué avant même le premier jour de la campagne.
Dans les manifestations, les slogans reprennent ceux des années 90. “Gotov je”, “il est fini”, scande la foule contre Vucic comme l’avaient fait les opposants à Milosevic il y a 20 ans. Certains se prêtent même à rêver à une nouvelle “révolution”, à l’image de la révolution des bulldozers du 5 octobre 2000 qui renversa Slobodan.
Les chiffres contre les espoirs
Un tel renversement pourrait-il cependant se produire ? Le scénario reste très improbable, la situation étant totalement différente.
Des jeunes, beaucoup de jeunes, urbains pour la plupart, ont pris part au cortège, dans un pays majoritairement âgé, de plus en plus vieux d’ailleurs, dont la population est rurale à près de 45%.
L’opinion publique, par ailleurs, reste majoritairement favorable à Vucic. Les méédias ont certainement leur part de responsabilités dans cette popularité, mais le fait est là : en évaluant à son plus haut la fraude électorale, Vucic aurait gagné les élections, que ce soit au premier ou au second tour, aucun opposant n’étant capable de rassembler suffisamment autour de lui. Sa victoire a, par ailleurs été applaudie à la fois par la Russie et par l’Union européenne, de quoi apaiser la crainte d’une “ingérence étrangère”, ce serpent de mer couramment ressorti par la presse proche du gouvernement.
Vucic l’a d’ailleurs bien compris, en “permettant” ces manifestations, qui ne représentent pas une menace pour son leadership. Bien trop de monde lui soutient qu’elles constituent une menace. Il “n’a pas de temps pour ça”, comme il l’a lui même déclaré. Ces cortèges pourraient pourtant être problématiques à long terme. Bien que divisée et sans leader, l’opposition a prouvé qu’elle était capable de réunir des foules en moins de 24h, et à organiser des manifestations de taille plus que notable.
Pourra-t-il être plus populaire ?
Vucic a beau être très populaire, il n’est pas consensuel : ces manifestations montrent le rejet clair d’une partie de la population contre son action. Bien que petite, cette portion de la population pourra difficilement être réduite a néant, et le temps risque de jouer en sa faveur.
Moins de deux ans après son arrivée au pouvoir, Vucic n’a pas encore subi l’effet du temps sur sa côte de popularité. Son bilan économique a beau montrer une amélioration, les résultats ne pourront pas suivre la même courbe indéfiniment. Diminuer de 30 à 40% le taux de chômage en deux ans, comme cela a été le cas entre 2014 et 2016, est une performance certes louable, mais qui sera sans aucun doute difficilement reproductible, tant la conjoncture a bénéficié des effets de la fin de la crise économique dans les Balkans.
Il faudra à Vucic trouver d’autres ressources pour continuer à rassembler. Si ce n’est pas le cas, l’opposition a d’ores et déjà montré qu’elle était capable de galvaniser les foules, il lui ne restera “plus” qu’à trouver un porte-parole suffisamment consensuel. Elle a pour ça du temps, c’est l’avantage quand on n’est plus au pouvoir…
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