Comme nous l’avons vu dans les deux parties précédentes, les élections présidentielles serbes tournent en fait autour d’un seul homme, Aleksandar Vucic, l’actuel premier ministre. Parts d’audience, discours de l’opposition, sondages, il n’y en a que pour lui. Mais, au fait, pourquoi une telle situation ? Pourquoi une telle popularité ? Et surtout, quels sont les enjeux de cette élection ?
Le bilan économique comme seul programme
Quel est le programme de Vucic ? Difficile de répondre. Fait intéressant, il n’est pas même présenté sur le site internet du candidat, qui se contente de promouvoir le bilan du gouvernement en ajoutant quelques lignes sur de vagues directions, qui peuvent se résumer à idée principale : nous allons continuer dans la même direction.
Le public semble apprécier, au vu des sondages. Mais pourquoi un tel soutien ? On peut avoir un début de réponse en regardant la courbe du chômage : le pourcentage d’actifs sans emploi est en effet passé de 25% en 2012 à 13% en janvier 2017. La Serbie a retrouvé son niveau de chômage d’avant la crise, en 2008.

Bien que beaucoup moins spectaculaires, les autres indicateurs économiques, à commencer par la croissance, indiquent un léger mieux, certains, comme la dette publique ayant cependant toujours une tendance à la stagnation.
L’économie, voilà la principale explication. Durement touchée par des embargos dans les années 1990 et les bombardements de 1999, la Serbie a connu une transition dans les années 2000, qui commençait à porter ses fruits, mais qui s’est brusquement arrêtée avec la crise financière mondiale de 2008 qui a particulièrement touché le pays, notamment du fait de sa dépendance aux investissements grecs.
Le redressement progressif de l’économie suite à 2012 a donc directement profité à Vucic, qui en a fait son cheval de bataille, tout en utilisant cette opportunité pour critiquer l’opposition. Il la mentionne d’ailleurs couramment par le terme “ceux qui ont détruit la Serbie”.
Concernant les indicateurs politiques, cependant, la situation est beaucoup moins rose : entre 2014 et 2016, les différents classements montrent en effet une baisse de la liberté de la presse, une baisse des principaux indicateurs démocratiques, ainsi qu’une stabilité de la corruption à des niveaux élevés. Dans un contexte de montée du populisme en Europe centrale et orientale, ces chiffres sont à relativiser, mais ils n’en restent pas moins une ombre sur le tableau du premier ministre.
Une lutte de profils plus qu’une lutte de programmes
Face à ce non programme, que propose l’opposition ? Si les nationalistes radicaux du SRS ont un programme clair, comme nous l’avions vu dans notre précédent article du dossier, les concurrents affichés pro-occidentaux (Jankovic et Jeremic) ont, en revanche, un projet qui reste flou.
Pour résumer, peu de précisions ou de chiffres, peu de propositions concrètes, l’objectif clamé étant de faire mieux : avoir un meilleur bilan économique, une administration fonctionnant mieux, bref, une Serbie plus forte.
Comme certains commentateurs ont pu le noter, nous avons donc affaire à une lutte de profils plus qu’une lutte d’idées.

La situation est, au final, représentative de l’opinion publique serbe concernant la politique. Quelle direction la Serbie doit-elle prendre ? Sur des questions comme la politique extérieure, les opinions sont clairement contradictoires. Les derniers sondages concernant par exemple l’accès à l’Union européenne indiquent que 47% des Serbes sont pour l’entrée dans l’UE, alors que 29% y sont opposés. En parallèle, 55% des gens se déclarent favorables à des liens plus étroits avec la Russie… Pour résumer, aucune opinion majoritaire ne se dégage en Serbie.
Lorsque l’on est un homme politique serbe, la tache d’avoir un programme clair s’avère donc risquée, tant le risque de voir une levée de boucliers de l’opinion est important.
Sans programme, la seule différence entre les candidats va donc être une différence de style, d’où ce jeu de personnalités auquel s’adonnent nos trois principaux candidats.
Les enjeux sont pourtant là
“La Serbie est un pont entre l’Est et l’Ouest”. Cette expression est couramment utilisée en Serbie, par les hommes politiques (le SNS l’avait mise dans son programme initial), mais aussi par les gouvernements successifs pour promouvoir l’idée d’une politique étrangère à la fois européenne tout en étant orientée vers Moscou.

Ce concept, fortement imprégné de l’héritage non aligné de la Yougoslavie, est pourtant mis à mal par la situation géopolitique. Les relations entre Bruxelles et Moscou étant de moins en moins cordiales, la Serbie est de plus en plus pressée, économiquement et politiquement, pour choisir entre les deux puissances.
Le sujet est assez peu débattu par les candidats, il risque pourtant de s’avérer crucial, vu qu’il concerne à la fois la politique étrangère, mais aussi le modèle de société.
Pendant ce temps là, les affiches des candidats se superposent sur les murs des villes serbes…