Comment devenir un bot, un profil dirigé par le SNS, le parti au pouvoir en Serbie, pour diffuser de la propagande en sa faveur ? Notre enquête en 4 parties, Hajde au Pays des bots nous plonge dans ce monde étrange.
Mais, qui sont les bots ?
Très rapidement, je me suis aperçu qu’il existait différents types de bots, aux méthodes assez différentes.
Le faux profil
Comme son nom l’indique, tout est faux : le nom indiqué est clairement un surnom, il a une histoire assez récente (moins de 6 mois). Il ne partage aucune photo personnelle, et ne publie que des visuels pro-Vučić tout en reprenant du contenu publié par le SNS et ses soutiens.
Il s’agit clairement de ce qui se rapproche le plus de l’idée du bot « idéal » : un profil impersonnel, totalement faux, qui publie de manière automatique.
Bien qu’il soit assez fréquent, il reste assez secondaire par rapport aux deux autres types de profils que l’on retrouve.
Le vrai-faux profil
Cette fois-ci, le nom du profil ressemble à un vrai patronyme. Il ne contient toutefois aucune information personnelle et se contente de poster du contenu pro-Vučić. Peu de choses ressortent sur le nom lorsque l’on fait une recherche sur Google, si ce ne sont des commentaires pro-Vučić sur des sites d’information, certains parfois assez vieux, confirmant l’ancienneté du profil.
Dans ce cas-là, il existe un doute sur l’authenticité du profil. Il se pourrait en effet qu’il s’agisse d’une personne réelle. Le contenu publié et partagé, toutefois, ne laisse aucun doute : il ne s’agit pas d’un compte destiné à un usage privé.
Bien qu’ils soit en nombre présent assez restreint, ce genre de compte est le plus actif. Il ajoute massivement des gens (généralement d’autres bots,) jusqu’à avoir plusieurs milliers d’amis. Plus encore, il publie, beaucoup. Certains jours, j’ai pu dénombrer de la part de certains profils un rythme de publication effrénée : jusqu’à une publication toutes les 10mn en moyenne sur des périodes de 4 à 6h d’affilée. Bien qu’un tel rythme soit humainement possible, on peut raisonnablement se poser des questions : qui a suffisamment de temps libre pour se permettre un tel rythme, et, surtout, qui n’aurait d’autre centre d’intérêt dans sa vie qu’un parti politique ?
Ce type de compte occupe donc un rôle central : il va publier du contenu sur son profil, mais aussi sur des pages non officielles de soutien à Vučić. Il interagit cependant assez peu, ce rôle étant laissé à de vrais profils.
Le vrai profil
Dans ce dernier cas, nous avons affaire à de vraies personnes. Le profil ne laisse pas de doute : il s’agit de vrais noms, on retrouve parfois leurs traces sur Google, et publient généralement des photos personnelles, depuis très longtemps. Dans de nombreux cas, les informations qu’ils donnent indiquent qu’ils travaillent dans la fonction publique ou bien dans une entreprise d’État, la plupart du temps à l’extérieur de Belgrade, généralement dans le sud de la Serbie.
Comme pour le cas des vrais-faux profils, ces comptes vont partager énormément de contenu pro-Vučić sur leurs propres murs. Toutefois, le volume reste largement inférieur, et est entrecoupé de quelques publications beaucoup plus familiales.
C’est cependant dans les réactions aux publications, officielles ou non, du SNS que l’on va massivement retrouver ce genre de profil, qui va réagir abondamment, se contentant comme on l’a vu de messages courts, presque automatiques.
Il est difficile de comprendre précisément les motivations de ces personnes. Au vu du volume d’activité pro-Vučić, il est clair que nous ne sommes pas face à des personnes ordinaires. Malgré tout, il s’agit là d’une « charge de travail » qui peut tout à fait être menée par n’importe qui, y compris quelqu’un possédant un travail et une vie sociale. On peut donc très bien envisager cette action comme une forme de militantisme.
Il existe toutefois quelque chose de frappant : l’absence d’un minimum de propos politique. Aucune idée, même basique, n’est partagée ou affirmée, ces profils se contentant de publier un flot ininterrompu de gifs et smileys. Nous sommes là dans de quelque chose de profondément différent de la plupart de l’activisme politique 2.0. Dans la plupart des cas que j’ai pu étudier, des États-Unis à la France, des populistes aux partis institutionnels, les réactions laissaient une très large place à l’expression d’idées. Ici, rien de tout ça.
Au final, on se rend compte que la stratégie des bots est beaucoup plus élaborée qu’il n’y paraît. Les faux comptes, qui permettent de produire beaucoup de contenu, font la plupart du temps profil bas, ce qui permet de leur éviter de se faire supprimer par Facebook. La plupart du travail est en fait effectuée par de vraies personnes, qui vont agir de manière quasiment automatique. Au niveau du volume, le résultat est impressionnant, chaque publication du SNS reçoit ainsi un flot de réactions. Très rapidement, cependant, les limites de la stratégie apparaissent : aucune idée, aucun projet n’est défendu ni même exposé, ce qui la rend compliquée pour rassembler en dehors du cercle des supporters du SNS.
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