« Nous aimons la France comme elle nous a aimés ». Telle est l’inscription écrite sur le monument de gratitude à la France, situé dans le parc Kalamegdan à Belgrade.
Environ 3,38% des Serbes sont considérés comme francophones[1]. Bien qu’il puisse s’agir d’un nombre réduit de locuteurs, et probablement inégalement répartis dans la population, le Français est l’une des principales langues secondaires enseignées à l’école primaire serbe, et, le dirons-nous assez à la mode.
En outre, et selon l’ambassade de France à Belgrade, « l’attractivité du Français en tant que langue de la connaissance, de l’innovation, de la culture, mais aussi de l’économie, du commerce et de l’intégration européenne reste avec certains acteurs (économiques, institutionnels, culturels, éducatifs…) qui contribuent à la construction de la Serbie de demain »[2]. Par ailleurs, l’ambassade de France en Serbie et l’Institut Français de Serbie sont à l’avant-garde de l’organisation du Mois de la Francophonie, qui prend place, chaque année.
Mais nous devrions nous demander « à quel point la Serbie aime-t-elle la France ? » Si vous vous prenez à déambuler dans l’une des rues principales de Belgrade, certaines de vos conversations avec les habitants se feront dans un parfait Français. Vous trouverez de nombreux restaurants, répondant au nom de « Voulez-vous », le « Alphonse de Lamartine » ou encore le « Petit Bistro ». Après une promenade dans le parc de Kalamegdan, vous découvrirez probablement l’Ambassade de France.
Un de vos trajets en bus pourrait s’arrêter à franše d’eperea, également connu sous le nom de Louis Félix Marie François Franchet d’Espèrey, qui a combattu avec succès aux côtés des Serbes lors de la Grande Guerre, dans la fameuse Expédition de Salonique, qui a eu lieu de 1915 à 1918.
Au fil du temps, l’opinion publique des puissances belligérantes l’a quelque peu oubliée. Toutefois, l’intérêt stratégique de la Serbie dans la lutte contre les puissances centrales ne doit plus être démontré. En 1921, Franchet d’Espèrey a été élevé à la dignité de Voïvode du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Juste ça !
Plus important encore, la relation dynamique et la forte mémoire collective que les Serbes et les Français partagent, sont, au-delà du vécu des expatriés, des experts et des individus concernés, sous-exploitées, sous-mobilisées et sous-valorisées. Et cela pourrait avoir des conséquences pour le programme d’adhésion européenne du pays.
« Nous aimons la France comme elle nous a aimés ». Telle est l’inscription écrite sur le monument de gratitude à la France, situé dans le parc de Kalamegdan. Et il semble que l’usage du passé est plus qu’approprié, puisque l’esprit de proximité ne semble pas être si réciproque. Pourtant, ne devrions-nous pas rendre la faveur, en tant que nation, et en tant qu’individus ?
Serbophilie et francophilie, une relation saine est cohérente et réciproque
Oui, les Serbes sont francophiles, mais les Français sont-ils serbophiles ? Les Français auraient-ils une opinion éclairée sur leur voisin de l’Est et sa volonté de rejoindre l’UE si on leur apprenait l’Histoire qui nous lie ? En fait, ils la connaissent.
Victor Hugo, dans son discours « Pour la Serbie »[3], s’est dit indigné par les actes tristement célèbres des Ottomans dans la région, et particulièrement préoccupé par les massacres de civils. L’appel éloquent d’Hugo a appelé les gouvernements européens à agir et les populations à élever leur voix dans l’indignation universelle. Ce discours est notamment considéré comme l’un des actes fondateurs de l’idée, et de l’idéal européen.
Ce qui se passe en Serbie démontre la nécessité des États-Unis d’Europe. Que les peuples unis succèdent aux gouvernements désunis[4].
Ainsi, la serbophilie n’est pas seulement le respect d’une épopée et d’une relation diplomatique quelque peu franco-serbe, c’est le respect des deux rôles historiques, établis depuis longtemps, en tant que nations liées entre elles, et éminemment européennes.
Plus que la politesse juste et appropriée d’être conscient des nations francophiles du monde entier, le manque de conscience mutuelle de ces liens culturels et historiques, peut conduire à des problèmes politiques malheureux.
En 2019, le président Macron a fait preuve de réticence concernant l’ouverture des négociations entre la Macédoine du Nord et l’Albanie et l’UE, craignant des conséquences en termes de soutien électoral. En 2019, une étude donnait la conclusion stupéfiante que plus de 59%[5] de la population française était contre un nouvel élargissement de l’UE.
Ainsi, si l’opinion publique est si importante, alors le public doit être correctement informé de ce qui nous différencie, et de ce qui nous rassemble.
En outre, le soutien du peuple français à l’élargissement n’est pas le seul à diminuer.
Le soutien de la population serbe à l’intégration européenne diminue également lentement. De 72 % de soutien à l’intégration européenne en 2003[6], les chiffres sont passés à 57 % en 2019[7]. À cet égard, une promotion renouvelée de l’amitié serbo-française pourrait non seulement rendre hommage à ce qui nous appartient collectivement, mais aussi renforcer une relation qui est essentielle pour préserver le soutien à l’adhésion à l’UE dans la région, tant en France qu’en Serbie. L’émotion collective manifestée lors du discours de M. le Président Macron[8], prononcé dans un serbe décent à Belgrade, le 15 juillet 2019, a montré la voie d’une déférence appropriée envers les Serbes.
Peut-être les paroles d’Hugo peuvent-elles encore résonner aussi vivement que durant cet été 1873 :
Ce que l’humanité sait, les gouvernements l’ignorent. C’est parce que les gouvernements ne voient qu’à travers cette myopie, la raison d’État ; l’humanité regarde avec un autre œil, la conscience.
[1]http://observatoire.francophonie.org/wp-content/uploads/2016/03/Rapport-OIF-2014.pdf
[2] https://rs.ambafrance.org/Francophonie-en-Serbie-3347
[3] Victor Hugo (2018). Actes et Paroles. Seltzer Books. ISBN 978-1-4553-4287-7.
[4] Ibid.
[5] Standard Eurobarometer 92, November 2019
[6] http://www.politika.rs/scc/clanak/163601/Podrska-gradana-clanstvu-u-EU-pala-na-57-odsto
[7] Standard Eurobarometer 92, November 2019
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