Passant très souvent au second plan lors de la couverture de la crise par les médias, les bénévoles sont pourtant une partie intégrante de l’aide aux réfugiés. Alors que la route des Balkans est désormais -officiellement- fermée, nous sommes allés au coeur de la crise des réfugiés à la rencontre des volontaires de l’ONG North Star à Kelebija, à la frontière entre la Serbie et la Hongrie.
Kelebija, tout le monde descend. Mon bus est arrivé à son terminus, à quelques mètres de la frontière avec la Hongrie. L’autocar, jusque là bondé, se vide. Des femmes, des enfants, des hommes, emmitouflés, descendent puis se dirigent vers le camp de fortune dressé un peu plus loin, dans le No Man’s Land entre les deux pays, avec l’espoir de traverser la frontière.
Je m’écarte du groupe, pour me rendre dans la cour de l’une des dernières maisons avant la frontière. Des enfants courent et s’amusent, des adultes discutent en buvant le thé devant une caravane, alors que d’autres s’abritent sous une tente, se protégeant de quelques gouttes de pluie.
Bienvenue au Community Center
Un homme sort de la caravane et me souhaite le bonjour. Il s’agit de Syd, coordinateur du community center de Kelebija géré par North Star, l’une des quelques ONG présentes dans la zone.
Nous faisons ensemble le tour du centre. Tout a commencé par cette caravane, à laquelle rapidement s’est rajoutée un premier chapiteau, puis une douche. Une nouvelle tente est quasiment prête, elle servira à Médecins sans Frontières. « Le centre prend forme progressivement », me lance Syd, enthousiaste.
Au-delà de l’aide humanitaire, m’explique-t-il, le but du community center est de rendre les réfugiés actifs. Ils y ont la possibilité de cuisiner, de jouer, de discuter, bref, de vivre une vie la plus normale possible, malgré la situation critique.
Syd s’interrompt, une volontaire vient d’arriver de Suisse. Diana sera là pour quelques jours, l’occasion d’apprendre aux réfugiés des rudiments d’allemand. Alors que Syd lui présente le centre, j’en profite pour entamer la conversation avec Khalid, le troisième volontaire ce jour-là, qui me décrit la vie dans le No Man’s Land, bien plus dure que l’impression paisible qui ressort du community center.
Syd et Diana rejoignent finalement Khalid, l’occasion d’aborder avec eux la question de leurs motivations.
Syd
« Je viens à l’origine du Michigan, ou j’ai étudié l’arabe. Mon premier contact avec la crise des réfugiés s’est passée il y a un an, alors que j’avais passé six mois en Jordanie en échange universitaire. Le semestre fini, je suis allé rejoindre des amis à Lesbos, qui s’étaient portés bénévoles dans l’un des camps de réfugiés de l’île. Ce voyage, qui devait initialement durer une semaine, a finalement duré plusieurs mois, d’abord sur les îles grecques, puis dans d’autres camps en Grèce, jusqu’à Idomeni. Je suis ensuite rentré aux Etats-Unis où j’ai monté ma propre ONG, ce qui m’a permis de lever des fonds pour revenir aider sur le terrain ici, à Kelebija.
Pour résumer, le travail que je fais ici est très enrichissant malgré la difficulté de la situation. En tant que traducteur anglais-arabe, je discute beaucoup avec les réfugiés, les récits de guerre qu’ils me racontent sont souvent très durs à entendre. Je me sens cependant utile pour les liens que je tisse avec les réfugiés, et les équipes de volontaires sont incroyables. »
Diana
« Venant de Suisse, j’ai commencé à me poser des questions sur la perception de l’islam et des musulmans dans mon pays lors du référendum sur l’interdiction des minarets en 2009 et dans les années qui ont suivi. L’aggravation de la crise des réfugiés a été en quelque sorte le second déclic. Je me suis d’abord portée volontaire à la frontière serbo-croate, à Bapska, puis à la frontière Serbo-Macédonienne, à Preševo, où je suis finalement restée plus de deux mois, avant de me rendre sur d’autres points de la crise, comme Idomeni. Pour résumer, j’essaye de me rendre là où je peux être utile.
En allant sur le terrain, j’espère aider les gens, les faire sourire, les écouter. Malgré la situation critique, j’ai été impressionnée par l’aide et la générosité dont font preuve les populations des Balkans. Cela me donne de l’espoir. Si nous coopérons, quelque chose de « magique » se produit. »
Khalid
« Mon histoire est un peu plus compliquée, je suis marocain et je travaillais jusqu’à peu comme ingénieur en Corée du Sud. Lors d’un voyage en Europe, alors que je comptais voyager de Turquie jusqu’en Italie via la Grèce, mes papiers ont été volés à Thessalonique. Ne sachant que faire, j’ai suivi les rumeurs qui me conseillaient d’emprunter la route des Balkans pour me rendre jusqu’en Autriche. Je me suis finalement retrouvé bloqué en Serbie. En attendant de trouver une solution, je me porte bénévole ici, en tant que traducteur anglais-arabe.
Les gens ici ont besoin de trouver quelqu’un qui parle leur langue, et c’est là que j’entre en jeu. Le temps passant, j’ai l’impression de faire partie d’une grande famille, entre les réfugiés et les volontaires.
Je suis à une période charnière de ma vie. Je crois en la destinée. Dieu m’a amené ici pour une raison. J’espère que la frontière finira par s’ouvrir, et que Dieu m’apportera son pardon pour mes péchés. »
De l’aide, mais pour combien de temps ?
Alors que je me prépare à repartir, Diana réalise que nous nous étions déjà rencontrés il y a près d’un an, alors que je couvrais la crise des réfugiés à Preševo. Le monde est petit, et encore plus celui des volontaires multiculturel comme me l’avait déjà dit Kelsey, la co-fondatrice de North Star, lorsque j’avais commencé à travailler sur ce reportage : « difficile de dresser un portrait-type du volontaire », m’avait-elle confié « Les origines et les centres d’intérêts des bénévoles sont très différents, mais tous se retrouvent dans une sorte de relation symbiotique ».
Une note d’espoir, alors que la situation est très loin d’être rose. Quelques jours après ma visite à Kelebija, Khalid me fit parvenir de nouvelles photos du camp, des personnes aux mains et pieds gelés, forcés de marcher en tongs dans la boue, brûlant des couvertures pour se réchauffer.
Des images dures, qui ne sont pas près de s’arrêter. Plus d’un an après la construction d’un mur par le gouvernement hongrois sur ses frontières avec la Serbie et la Croatie, les réfugiés se pressent toujours aux portes de l’Europe. Si l’aide s’organise, elle est aussi rendue de plus en plus compliquée par les gouvernements locaux. En Hongrie par exemple, différentes lois sont passées criminalisant l’aide indépendante aux réfugiés. En Serbie, la ville de Belgrade a fait fermer la semaine dernière un stand de distribution de nourriture situé dans un parc de la ville.
L’étoile du nord continue donc de briller, mais pour combien de temps ?
À propos de North Star
Créée en 2015 dans le but de porter assistance aux réfugiés transitant par la Serbie, l’ONG s’est orientée assez rapidement vers la promotion du volontariat en Serbie au niveau administratif et financier. Au-delà du community center de Kelebija, d’autres projets sont en cours, visibles sur le site internet de l’organisation : http://northstarserbia.org/