Comment devenir un bot, un profil dirigé par le SNS, le parti au pouvoir en Serbie, pour diffuser de la propagande en sa faveur ? Notre enquête en 4 parties, Hajde au pays des bots, nous plonge dans ce monde étrange.
Que partage un bot ?
Ma liste d’amis étant désormais d’une taille décente, je me suis mis à observer ce qui se passait sur mon mur. Sans trop de surprise, je n’ai quasiment que du contenu pro-SNS ! Cela peut paraître évident, mais souvenez-vous : j’ai aussi liké des pages génériques (de la bière jusqu’aux pneus), ainsi que des médias. Je pourrais donc m’attendre à un peu de variété… Au final, il n’en est rien ! Les publications pro-Vučić écrasent tout le reste.
Il existe toutefois une chaine de partage : la plupart des contenus sont produits par les pages officielles du SNS (qu’il s’agisse de la page centrale ou des pages des antennes locales), qui sont alors repris par les pages de soutien non officielles, avant d’être partagés par les bots, qui vont finir par se partager entre eux. Les médias pro-Vučić, eux, peuvent s’insérer dans le jeu, et poster du contenu qui sera repris par les pages de soutien et mes chers amis.
Le contenu partagé se divise en plusieurs catégories : des photos de Vučić, en portrait officiel, en train de serrer les mains, en train d’inaugurer des usines, des vidéos promotionnelles du SNS, des articles et des couvertures de journaux pro-SNS, ainsi que des montages attaquant l’opposition.
Pour résumer, nous sommes dans une caricature de l’effet bulle de filtres. Ce phénomène a notamment été mis en avant pour expliquer la polarisation aux États-Unis lors de l’élection de Donald Trump en 2016. D’après cette théorie, les réseaux sociaux auraient tendance à « radicaliser » leurs utilisateurs. Les algorithmes, qui proposent graduellement de plus en plus de contenu basé sur ce que l’utilisateur a aimé, vont ainsi isoler ce dernier dans un monde virtuel basé uniquement sur ses goûts et opinions, ce qui va progressivement le détacher de la réalité.
Dans le cas des élections américaines, l’effet bulle de filtre reposait sur une importante toile de contenus, faite d’un nombre incalculable de sources, certaines presque institutionnelles, comme Fox News, d’autres beaucoup moins, comme les nombreux sites de fake news qui ont répandu les rumeurs les plus folles (une partie de ces sites provenait d’ailleurs des Balkans). Plus encore, la participation des activistes était clairement proactive. Les militants pro-Trump partageaient publiaient du contenu de manière volontaire, et croyaient en ce qu’ils écrivaient. L’idée était non seulement de faire gagner Trump, mais aussi de soutenir un programme. L’effet bulle de filtres est donc allé bien au-delà de la promotion d’un homme : Trump s’est fait élire car il promouvait des idées qui se sont développées grâce à cette bulle.
Dans le cas des bots, l’approche est inversée. Le SNS est le principal, si ce n’est l’unique instigateur de cette stratégie, avec pour unique but de faire élire Vučić. Il n’est donc pas ici question d’idées. Le programme des progressistes est d’ailleurs assez flou : améliorer la situation économique de la Serbie, lui donner un poids diplomatique plus important, et éviter de faire gagner l’opposition, responsable, selon le parti, du supposé chaos qui aurait précédé. Difficile, certes, de s’opposer à un programme promettant plus et mieux pour tout le monde. Cependant, pour ce qui est des moyens pour arriver à de tels résultats, aucun détail n’est mentionné. Avec un tel schéma, l’effet bulle de filtres ne marche qu’à moitié : l’utilisateur est enfermé dans un monde tournant autour de Vučić, mais dénué de corpus idéologique. Nul doute qu’un tel contenu ravira les supporters du SNS. Ils y trouveront une certaine forme d’émulation, qui leur permet de croire avec encore plus de ferveur au parti. Le problème, c’est que les limites de la stratégie apparaissent rapidement : le contenu est peu varié, il ne fait qu’être repris en boucle par quelques personnes et commenté par de nombreuses autres, mais sans réelle conviction. Difficile donc de faire rentrer plus de personnes dans cette bulle, vu qu’il va être difficile de fédérer autour d’idées si celles-ci ne sont pas exposées !
Lorsque je me rends sur mon faux compte, j’ai ainsi l’impression d’entrer dans un monde totalement différent de celui qui m’entoure tous les jours en Serbie : mes suggestions d’amis sont désormais quasi-uniquement des profils soutenant le SNS, et je ne retrouve sur mon mur que du contenu pro-gouvernemental. Ce monde est en fait trop différent de la réalité pour être plausible.
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