Lire l’été Balkans #1 – Parce que l’été est l’occasion de lire -ou de relire- dans le train, dans le bus, en terrasse, sur les plages et dans les parcs. Accompagné de café turc ou de rakija pour prolonger votre découverte d’un pays, une sélection d’auteurs des Balkans qui nous offrent un point de vue particulier, fantasque ou réfléchi sur leurs pays.
Albanie
Je vous renvoie ici sur l’article précédent, concernant Avril Brisé, de Ismaël Kadaré et explorant la manière dont les lois traditionnelles du Kanun viennent s’entrelacer avec des destins de vies délicats.
Bosnie-Herzégovine
La littérature bosniaque -ou bosnienne- transpire des drames qui ont traversé cette région et qu’il est nécessaire d’apposer. Sarajevo Omnibus nous décale vers un drame qui sonne juste en cette année de centenaire de la Grande Guerre. Une époque tourmentée qui a valu aux Balkans l’expression de « poudrière de l’Europe ». En 1914, à Sarajevo, l’archiduc François Ferdinand est assassiné et le monde entre avec fracas dans le XXème siècle.
Cette distance temporelle permet à Velibor Colic, l’auteur, de renouer avec la maîtrise narrative propre à l’Est : fantasque, héroïque, cynique. Suivant des figures historiques, littéraires, grandiosement humaines, les poètes et les ivrognes, Colic nous fait à travers leur récit entrer dans le cœur battant de Sarajevo, ville-personnage aussi nerveuse que l’Histoire qu’elle abrite.
Bulgarie
Dans L’alphabet des femmes, Gueorgui Gospodinov renoue avec le genre de la nouvelle, dans la lignée des auteurs de l’Est. L’incroyable, comme développé dans un précédent propos. Absurdes, dérangeantes, sensibles, laissant une empreinte dans l’esprit. Déposant par la même occasion des pointes de Bulgarie à travers l’humour, la tendresse, les désirs de ses personnages, leurs quotidiens, les lieux qu’ils traversent.
Croatie
Hotel Z d’Ivana Bodrozic nous ouvre les portes de la guerre de Yougoslavie du point de vue d’une enfant croate. Jeune auteure de par l’âge, grande auteure de par l’engagement, Ivana Bodrozic pose un récit qui n’est pas sans rappeler le multi best seller « Les cendres d’Angela » de Frank McCourt. L’écrit sait retrouver la voix de l’enfant.
Ce n’est pas que la force émotionnelle et le trauma ne sont pas là. C’est que l’enfant puis l’adolescente vit aussi les drames de son âge, les désarrois amicaux, l’école, les premiers amours, les soirées crasses. Ici oscille le cœur battant de la guerre et de la condition de réfugié, le quotidien se revêtant souvent d’un cri politique malgré elle.
Grèce
J’aurai une grande envie de vous conseiller « Les métamorphoses » d’Ovide mais on va partir sur quelque chose de plus contemporain avec L’Ultime Humiliation, de Rhéa Galanaki. Lauréate de nombreux prix, son œuvre est primée par l’Unesco dans sa Collection d’Ouvrages majeurs. Avec L’Ultime Humiliation, Galanaki explore une Grèce agonisante sous la crise économique et la complexité avec laquelle le capitalisme s’immisce dans la réalité psychologique de tout un chacun.
A travers deux femmes retraités décidant de participer à une manifestation contre l’austérité, Galanaki aborde l’identité politique de la génération actuelle, le retour inéluctable d’une lutte des classes violente et l’épée de Damoclès qui surplombe l’Europe, à savoir le fascisme. Ce roman historique contemporain nous donne à voir les entrailles de la Grèce actuelle et force une réflexion nécessaire sur l’Europe en général.
Kosovo
Retour au Kosovo est une bande dessiné dont le titre est assez équivoque. Gani Jakupi a quitté son pays à l’orée de la guerre. Il y retourne dans les années 2000 et en tire ce récit d’auto-fiction, explorant la complexité de l’indépendance et les morceaux de vies qui s’y glissent, accompagné du pinceau délicat de Jorge Gonzales. Le dessin se joue de la taille des pages et de l’utilisation des couleurs pour faire du paysage de cette terre un personnage à part entier.
Macédoine du Nord
Des auteurs de Macédoine traduit en français il y en a peu. La grande eau, de Zivko Cingo, ne parle pas à proprement parler de la Macédoine. Mais l’auteur a gagné le prix Nocturnes 2014 pour ce roman. Non pas que l’on évalue la qualité d’un roman aux prix qu’il remporte mais pour rendre honneur à ces auteurs venant de langues souvent peu traduites et relégués au second plan de la littérature. Fable sombre sur la dictature et l’oubli, La Grande Eau laisse la poésie s’infiltrer dans chaque page tout comme l’eau s’infiltre dans les murs de cet orphelinat, offrant un espace de rêve et d’espoir à deux enfants qui portent le fardeau d’être né.
Monténégro
J’ai un bon ami dans les Balkans qui s’est mis à écouter du rap français dans son adolescence. Il a commencé à développer un intérêt pour la culture française et il est entré dans une librairie pour demander un roman français « cru ». Le libraire lui a refilé le marquis de Sade. Il est resté prostré dans son lit toute la nuit, se jurant de ne jamais coucher avec une française. J’imagine toujours le vieux libraire avoir un petit sourire en coin en le voyant partir avec son livre sous le bras, amusé de cette jeunesse qui pensait le choquer par l’argot.
Quand j’ai découvert Arcueil, d’Aleksandar Becanovic, j’ai repensé à cette anecdote. J’ai longuement hésité à le mettre sur cette liste parce que ce roman ne parle pas du Monténégro mais se situe justement lors du scandale d’Arcueil, fait divers impliquant le Marquis de Sade et ayant défrayé la chronique. Mais pour mon petit plaisir personnel je le dépose ici et aussi parce que Aleksandar Becanovic est certainement la voix littéraire de demain, lauréat du Prix de Littérature de l’Union Européenne 2017.
Roumanie
J’aime les poètes roumains. Il est un proverbe qui dit que tout roumain naît poète. J’aime la fluidité des traductions que l’on peut en faire, le roumain s’articulant dans les langues romanes. J’aime Ion Muresan et le recueil que vous souhaitez.
Aux confins de la mémoire il fait si froid que
si un cygne serait fusillé
dans la plaie un vieillard pourrait se loger.
Serbie
La peur et son valet, de Mirjana Novakovic, est un roman qui distrait (c’est nécessaire à préciser après cette liste bien sombre). On y suit le diable -figure récurrente de la Littérature de l’Est- accompagner des princes et des généraux dans une chasse au vampire -figure mythique qui puise ses origines en Serbie. Se déroulant sur les rives du Danube, le roman explore un Belgrade médiéval, oscillant entre l’empire Ottoman et l’Europe et le diable y passe ses nuits dehors, dans des rues que l’on reconnaît étrangement, tant dans l’architecture que dans l’ambiance.
Slovénie
Et l’amour aussi a besoin de repos, nous dit Drago Jancar. Car si la littérature aime à rappeler que dans le broyeur de la guerre, l’espoir sait se faufiler, il s’agit bien souvent d’un point de vue que le retour de la paix vient apposer. Cette histoire d’amour entre Sonja et Valentin s’écrit dans des allers-retours chronologiques et spatiaux, entre diverses villes et diverses années. S’étant inspiré d’une vieille photo pour développer son récit, Drago Jancar interroge également le couple en Europe, les frontières pouvant séparer les mains qui se tiennent en l’espace d’une nuit.
Turquie
Elif Shafak est une femme. Mes chroniques ont tendance à en manquer, sans intention derrière si ce n’est un rapport un peu classique à la littérature, où souvent les femmes ont été reléguées à la seconde place. Je ne sais pas si la plume a un genre. Dans tous les cas le sexe influe nécessairement son rapport au monde quand on vient de pays comme la Turquie, où la question religieuse et où les traditions patriarcales demandent à la femme d’épouser une vie déjà dessinée pour elle.
Fouillant entre la Turquie et l’Arménie, entre l’Islam et la laïcité, entre le féminisme et le conformisme, entre l’immigration et le retour, Elif Shafak décrit une Turquie aux milles visages dans La bâtarde d’Istanbul . Elle sait investiguer cette réalité sans reléguer le récit au second plan. Sa bâtarde cherche ses origines et avec elle nous cherchons à saisir la Turquie.
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