Rap dans les Balkans : la semaine dernière, le magazine de Canal+ l’Effet Papillon a diffusé un reportage sur une guéguerre qui oppose Noizy, un rappeur Albanais, et des rappeurs du label Babastars, originaires du Kosovo. Chez Hajde, nous nous sommes dit que ce reportage aurait pu être très intéressant : après tout cela concerne une région que nous connaissons bien, et le sujet touche la culture, ainsi que la géopolitique. Il n’en a finalement rien été.
Lorsque nous avons vu, pour la première fois la bande annonce du reportage, nous avons déjà commencé à avoir un peu peur du rendu final. Au vu du reportage entier, nos craintes se sont avérées fondées.
Dans les Balkans, la musique n’adoucit pas… by effetpapillon
Que retenir de ce documentaire ? Pas grand chose… À part qu’il y a des rappeurs qui se fightent !
La quinzaine de minutes du reportage a étalé l’opposition entre les deux artistes, sans aller bien plus loin. Quasiment rien sur les raisons derrière ce duel, notamment géopolitiques (la voix off se contente d’expliquer que les Albanais du Kosovo considèrent les Albanais d’Albanie comme culturellement arriérés), et quasiment rien sur les créations de Noizy et de Babastars, si ce n’est une très succincte analyse de moins de 5 secondes en début de reportage, les qualifiant d’assez classiques.
Au-delà du clash entre les deux rappeurs, le documentaire a essayé d’aller plus loin dans le “travail journalistique” en parlant des armes dans les Balkans, pour se ramasser monumentalement. Citons, par exemple, des jugements à l’emporte-pièce, comme par exemple “Quand on est en colère au Kosovo ou en Albanie, on sort les fusils”, ou encore la mention de statistiques très hasardeuses, comme celle indiquant que « l’Albanie est un des pays les plus violents au monde, avec un taux de mortalité par arme à feu supérieur aux Etats-Unis”.
Cette statistique, bien que mentionnée par d’autres médias il y a quelques années (comme The Independent ou BalkanInsight), est pourtant fausse, dans la mesure où la source primaire utilisée par les journaux en question indique des données totalement différentes (en l’occurrence les chiffres de l’Institute for Health Metrics and Evaluation), avec des taux de mortalité par arme à feu trois à quatre fois plus faibles en Albanie qu’aux Etats-Unis, ce qui vient confirmer le sérieux de l’enquête de l’Effet Papillon.
Pour résumer, quinze minutes pour dire qu’il y a des rappeurs en Albanie et au Kosovo qui s’opposent, sans approfondir, ça fait long… Rajoutons à ça quelques clichés, que ce soit sur la violence dans les Balkans, ou sur la thug life supposée des rappeurs, et nous obtenons un reportage sensationnaliste et très superficiel.
C’est pourtant dommage, parce qu’il y aurait pu avoir beaucoup de choses à aborder sur la situation :
Concernant le rap en Albanie, au Kosovo, et dans les Balkans en général, il y a beaucoup de choses à dire sur son statut, qui est arrivé dans la région beaucoup plus tardivement qu’ailleurs, et qui a réussi à s’y faire une place. D’ailleurs, Ledri Vula, rappeur kosovar et ancien du label Babastars a déjà enregistré un featuring avec un rappeur d’Albanie, mais ça personne n’en parle. Certaines stars dont on ne se doutait pas sont originaires d’Albanie, du Kosovo ou du reste des Balkans, et ça non plus, personne n’en parle.
Concernant la rivalité entre Kosovo et Albanie, là encore, l’Effet Papillon n’a fait qu’effleurer un thème, qui pourtant est central dans la situation, celui du paradoxe Albanie/Kosovo : un peuple majoritaire (les Albanais), deux pays, mais des cultures et des perceptions radicalement différentes de chaque côté de la frontière, qui créent la rivalité la plus inattendue dans la région.
Bref, chez Hajde, nous sommes restés sur notre faim. La prochaine fois que vous faites un reportage sur les Balkans, l’Effet Papillon, et tous les autres, pourriez-vous essayer de le faire plus sérieusement ?
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