À l’occasion de notre venue au festival Routes dimanche 20 août, nous revenons sur les deux dernières années de crise des réfugiés en Serbie. Aujourd’hui, nous re-publions un article d’avril 2016, écrit par Jérôme Cid suite à l’un de ses voyages à Subotica, à la frontière Serbo-Hongroise.
Avril 2015, c’était il y a un an. Je me rappelle ce voyage de Belgrade à Subotica, la dernière ville avant la frontière hongroise. Le bus est plein. En plus des voyageurs habituels — majoritairement des étudiants serbes rentrant à la maison pour le weekend — un tiers des passagers vient de bien plus loin : Syrie, Irak, Afghanistan, etc. Il s’agit de réfugiés qui se dirigent vers la Hongrie après avoir voyagé depuis les côtes grecques via ce qui sera bientôt appelé la route des Balkans.
Une fois arrivés à Subotica, la majorité des réfugiés se dirige vers la file de taxis qui attend à proximité, et disparaît rapidement alors que les voitures s’effacent dans la nuit, en direction de la frontière.
Kelebija (sur la frontière même), le jour suivant : un sentiment de bout du monde. La zone est plate. Alors que je dépasse les dernières maisons du village, je suis entouré de moins en moins d’arbres, et de plus en plus de poussières et de ruines d’il y a plus de 100 ans, du temps où la frontière n’existait pas. À quelques centaines de mètre de la, un mirador Serbe surveille les environs depuis l’époque de la guerre froide.
Tout à coup, j’entends un bruit : à 200m de moi, j’aperçois un groupe de six à huit réfugiés sur le point d’entrer en Hongrie, loin du poste frontière légal, J’observe le mirador, où je peux voir des policiers serbes : pas une seule réaction, et les réfugiés disparaissent rapidement dans la forêt hongroise. Ils sont désormais loin.
Avril 2016, je suis de retour à Subotica. Officiellement, la frontière hongroise est désormais fermée (depuis septembre 2015), et la route des Balkans est désormais close (depuis février 2016). Pourtant, le bus de 19h45 que je veux prendre depuis Belgrade est plein. J’arrive finalement à obtenir l’un des derniers billets pour le car suivant. Les passagers m’y sont familiers : à nouveau ces têtes brunes et fatiguées d’hommes, femmes et enfants qui ont parcouru des centaines, des milliers de kilomètres, et qui se rendent vers la Hongrie. Alors que nous arrivons à la gare routière de Subotica, les mêmes taxis sont ici pour les transporter vers la nuit, alors que d’autres réfugiés se dirigent vers le sud de la ville. Très rapidement, ils se transforment en ombres, et disparaissent.
Kelebija, le jour suivant. Un an plus tard, l’atmosphère est la même : les arbres, les ruines et le sable sont toujours là. Cette fois-ci, par contre, le lieu est réellement devenu le bout du monde, en tout au moins le bout du chemin, vu que le gouvernement hongrois a désormais construit un mur pour empêcher les réfugiés de passer. Plus aucun policier du côté serbe, mais je m’aperçois que la police hongroise suit mes faits et gestes de l’autre côté de la clôture.
Un an plus tard, de Subotica à Subotica, le silence est de retour, Durant quelques mois, la crise des réfugiés a fait la une des journaux. Mais depuis, l’Europe a résolu le problème : les frontières sont closes, et les réfugiés sont désormais renvoyés en Turquie…
Et pourtant, les demandeurs d’asile sont toujours à proximité de la frontière. Ils essayent encore et encore de passer ce mur, et certains y arrivent. Les hongrois autorisent en effet un nombre très restreint à pénétrer leur territoire chaque jour, comme l’a observé Human Rights Watch. Les autres trouvent toujours un moyen de passer… illégalement.
Les frontières sont fermées, mais les gens passent. La route des Balkans est coupée, mais les gens la prennent. L’Europe a trouvé une solution, mais la situation n’a pas changé. Cette énergie, cette peur, cette haine contre les réfugiés, mais ils continuent de voyager. Derrière tout ça, l’illusion européenne s’écroule : aucune frontière ne stoppera la crise.