Les extraordinaires aventures de Mr West au pays des Bolcheviks est une comédie soviétique muette et en noir et blanc de Lev Koulechov datant de 1924. Elle raconte les tribulations de Mr West, américain comme son nom l’indique, capitaliste comme on le devine, venu en Union Soviétique accompagné de son garde du corps, de chaussettes aux couleurs étoilées des USA et d’une imagerie assez affectueuse de ce que sont les Bolcheviks, ces sauvages sanguinaires.
L’irruption d’un Américain en Union Soviétique est une figure utilisée dans plusieurs films soviétiques à cette époque. Ainsi Wikipédia signale l’existence de Un baiser de Mary Pickford de Koarov qui parvient habilement à profiter de la présence de Mary Pickford et Douglas Fairbanks à Moscou mais aussi La vendeuse de cigarettes de Mosselprom de Jelioubajski (sur lequel on reviendra dans un article). Il serait intéressant d’explorer la filmographie hollywoodienne pour confirmer si la réciproque existe ou non.
Le film de Koulechov annonce ses intentions idéologiques aussi franchement qu’un film de Capra, il parvient tout autant à les faire passer par un sens de la mise en scène au service du divertissement. Dans cette histoire, le héros est Mr West, joué par Porfiri Podobed qui campe un capitaliste ahuri aux immenses lunettes dont chaque verre pourrait contenir la Sibérie ou l’Alaska au choix.
Il sera livré aux manoeuvres d’une bande composée entre autres d’un dandy, le fameux Poudovkine et d’une comtesse, jouée par Alexandra Khokhlova; autant dire de bandits. L’habileté du scénario de Vsevolod Poudovkine et Asseiev est de faire des préjugés antibolcheviques de Mr West le point faible qui l’expose aux escroqueries des bourgeois.
Mais celui qui emporte le film, dans son déguisement de cow-boy au chapeau molletonné, c’est l’admirable Boris Barnet, acteur bondissant et réalisateur de génie de Au bord de la mer bleu et de La jeune fille au carton à chapeau (on y reviendra avec délectation).
Dès sa première scène il campe son rôle en balançant les valises de son patron, sans trop de précaution d’ailleurs. Donner du mouvement, du rythme, de la cadence au film sans trop se soucier de cohérence. Quelques minutes après le début du film on l’aura vu dans le désordre sauter d’une voiture en marche, courir après une autre, capturer un véhicule au lasso, ligoter son conducteur, courir, bondir, escalader, débouler par la fenêtre dans un appartement, se battre puis tomber tout aussi naturellement dans les bras d’une amie américaine, jouée par Véra Lopatina.
Celle-ci, plus vive que ses deux compatriotes, a déjà compris les attraits du bolchévisme. Par ailleurs, la relation entre Mr West et son domestique est intéressante. Au lieu d’être décrite comme une illustration de la lutte des classes marxistes, elle semble plutôt une nouvelle déclinaison de ce couple Maitre/serviteur qui parcourt une bonne part de la littérature russe (que ce soit Les âmes mortes de Gogol, Oblomov de Gontcharov et Maître et Serviteur de Tolstoï). En effet, le film date de 1924.
La révolution d’octobre a déjà pris le palais d’hiver et la NEP a permis l’existence sous certaines conditions de la propriété privée. Le film s’inscrit dans cette volonté de faire soudain assaut d’amabilité avec le capitalisme. Mais il n’est pas certain que cette invitation à surmonter les préjugés, même accompagnée de la barbiche de Trotski à la fin du film, ait été reçu jusqu’aux Etats-Unis.
Enfin on peut se demander s’il faut voir dans ce film de propagande mettant en garde contre les clichés antibolcheviques la naïveté de qui ne perçoit pas que dévaloriser les images des autres c’est risquer de dévaluer aussi les siennes.
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