Le Bonheur Juif est un film soviétique muet de 1925, en noir et blanc, du réalisateur Alexis Granowsky. Inspiré d’une nouvelle de Cholem Aleikheim, il raconte les tribulations de Menahem Mendel à la fin du XIXe siècle à Berditchev, près d’Odessa qui se situe alors en Russie.
Ce personnage tente péniblement chaque jour de gagner son pain et chaque samedi d’obtenir son « bonheur juif », c’est à dire un morceau de viande. En 1925 le bonheur est encore une idée neuve en Russie pour tous ceux qui ont les mains vides. Il vit entouré d’enfants dépenaillés dont on peine d’ailleurs à deviner lesquels sont les siens.
Le Bonheur Juif vaut tout d’abord par tous les noms qu’il réunit. Tout d’abord celui de Cholem Aleikheim dont le film reprend un des personnages de nouvelles et que Wikipédia présente comme le Mark Twain juif. Il a composé en yiddish quantité de nouvelles, des pièces de théâtres et même des contes pour enfants avant de mourir il y a de cela 100 ans le 13 mai 1916 à New York à l’âge de 57 ans.
En 1964, Broadway reprendra un de ses personnages en comédie musicale pour composer le fameux Ah, si j’étais riche. Il y a aussi Isaac Babel, auteur de nouvelles qui sont autant de bijoux et qui compose les savoureux intertitres du film. Nommons aussi le réalisateur Granowsky qui a d’abord travaillé au théâtre avec Meyerhold au sein du Kammerthéâtre juif.
Sans oublier l’acteur principal Solomon Mikhoels formé lui aussi au théâtre et qui présidera le comité antifasciste juif dans les années 30. Tout ceci n’est pas le moins du monde un hasard. Ce film est réalisé comme une utopie, il nous apparaît aujourd’hui comme un témoignage précieux.
Le Bonheur Juif est l’utopie d’une communauté juive qui parviendrait à perdurer en Russie. Si le scénario s’inspire d’un personnage de Cholem Aleikheim, le film n’oublie pas que celui-ci a choisi de s’exiler en Amérique dès 1905 pour fuir les pogroms; les pogroms étant fréquents en Russie, pays où est né Le Protocole des Sages de Sion.
Par un tour de magie symbolique de l’humour juif, quand le personnage principal rêve un instant d’embarquer lui aussi, c’est pourtant pour aller sauver l’Amérique et finalement tomber du bateau. Granowsky choisira plus tard de fuir la Russie pour la France. Quant à Babel et Mikhoels, leurs sorts tragiques démontrent encore plus combien cette utopie fut passagère.
Reste donc ce film comme un témoignage. Il est fait de saynètes où les acteurs composent plus pour des spectateurs que pour la caméra et qui sont assemblées sans trop de cohérence. Pourtant Mikhoels comme les autres possède un sens de la pantomime qui donne à tout cela une forme d’élégance. A l’époque la projection du film était accompagnée par un pianiste qui lui offrait un caractère enjoué.
Les femmes n’ont, il faut l’avouer, qu’assez peu de place. Cette scène de rêve semble même plus se jouer d’elles en les chargeant comme de simples marchandises sur le navire. Tamara Adelgeïm semble presque en partie les venger en jouant un tour pendable à ses parents qui veulent la marier contre son gré.
Ce mariage a d’ailleurs une valeur qu’on peut bien qualifier de documentaire. Un témoignage sur un monde où les pauvres Menahem semblent moins rêver de lutte de classes que d’une toute aussi inaccessible ascension sociale.
A la fin du film Menahem Mendel semble comme s’en aller vers de nouvelles aventures. Nous savons bien maintenant que celle-ci n’eut pas de suite. Le Bonheur Juif fit partie, avec des films comme le féministe Le Village du péché d’Olga Preobrajanskaïa en 1927, l’ïlot poétique Au bord de la mer bleu de Boris Barnett en 1936 ou l’expérimental Le Bonheur de Medvekine en 1935 de ces quelques oeuvres qui, par tolérance ou distraction de la censure, laissèrent croire que le cinéma pouvait être en Russie un espace fugitif de liberté.
Pourtant, à bien y regarder, on pourrait presque apercevoir le passage de Buster Keaton et réaliser alors que ce cinéma du burlesque, héritier de la scène, ce personnage qui croit cacher sa misère avec chapeau melon et costume a presque à voir avec celui que composera plus tard Chaplin de l’autre côté de l’Atlantique. Il faut un peu de ruse peut être. Ou simplement croire que les utopies, à leur façon, se réalisent.
Le film existe en version musicale dans le DVD proposé par Bach Film, qui possède une très recommandable collection Chefs d’oeuvre du cinéma russe.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.