Découvrons le film « La Nouvelle Babylone », réalisé en 1929 par les soviétiques Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg sur la Commune de Paris.
La Commune de Paris, une référence pour les révolutionnaires
Dans de multiples récits des débuts de la révolution bolchevique figure cette anecdote. Lorsqu’il réalisa que sa révolution avait tenu un jour de plus que la fameuse Commune de Paris, Lénine effectua quelques pas de danse dans la neige, entre deux télégrammes exigeant de liquider les opposants.
La Commune de Paris a dès son origine représenté une forme de symbole pour le camp de révolutionnaires, enfin les prolétaires prenaient les armes et le pouvoir pour leur propre compte contre la bourgeoisie. Lénine, comme Marx avant lui, a écrit à de multiples reprises pour méditer l’expérience et en tirer des leçons. Mais cette influence ne se résumera pas aux dirigeants de la révolution. De nombreux villages en Ukraine décideront de se baptiser Commune de Paris soit Парижская коммуна.
Kozintsev et Trauberg, un cinéma d’avant garde
C’est dans cet esprit qu’en 1929 trois jeunes gens décident de s’emparer de l’histoire de La Commune de Paris pour le mettre sur le grand écran. Ailleurs en Occident, l’histoire alimente des films plus ou moins expressément destinés à construire des récits nationaux. Que ce soit aux USA le récit raciste que fait Griffith de la fin de l’esclavage et de la naissance du Klu Klux Klan dans Birth of a Nation, celui que Abel Gance fait de Napoléon en France, ou encore le Cuirassé Potemkine de Eisenstein en URSS.
L’originalité du trio Kozintsev–Trauberg–Chostakovitch c’est d’avoir cherché leur histoire hors des frontières nationales. Comme le lance dans le film la barricade à un officier versaillais « Nous ne sommes pas français, nous sommes Communards ».
Kozintsev et Trauberg ont beau n’être que des jeunes gens, ils ont déjà plusieurs films à leur actif depuis les Aventures d’Octobrine en 1924 réalisé en commun. Mais surtout ils ont affiché des positions d’avant garde. Avec Sergueï Youtkevitch ils ont publié en 1920 un manifeste du Théâtre Excentrique qui emprunte au futurisme, à Dada, à Meyerhold…. Tout ce qui remue alors les codes et les usages et va s’appliquer ensuite au septième art.
La Fabrique va durant au moins 10 ans exercer une forte influence sur tout le cinéma soviétique de l’époque. Eisenstein, Barnet, Poudovkine, Koulechov, Poudovkine. Pour le dire vite si le cinéma a été inventé par des français, si ce sont des américains qui pousseront le plus loin la mise en place d’une industrie du spectacle avec Hollywood, ce sont des russes qui se mêlent le plus vite de lui donner une théorie.
La Nouvelle Babylone, inventer une grammaire cinématographique au service des espérances révolutionnaires
Kozintsev et Trauberg choisissent tout d’abord de resserrer leur chronique de la Commune sur un grand magasin La Nouvelle Babylone. Eisenstein avait fait de même en racontant la révolte de 1905 au travers de celle du Cuirassé Potemkine, et quelques personnages, le propriétaire de ce magasin, joué par David Gutman. C’est l’incarnation de la bourgeoisie sur le même mode qu’on retrouve entre autre dans la Grève de Eisenstein ou La vendeuse de cigarettes de Mosselprom de Youri Jeliaboujski, corpulent, portant le costume et fumant le cigare.
Comme Eisenstein Kozintsev et Trauberg semblent avoir appris leur Daumier et sa capacité à saisir un caractère en un trait fugitif.
Puis face à lui pour incarner le prolétariat, une employée Louise Poirier, jouée par la grande Elena Kouzmina alors à ses tous débuts qui aura une prestigieuse carrière notamment chez Boris Barnet dans le magnifique Au Bord de la mer Bleue, figure discrète qui va trouver en elle même et avec ses camarades la force de se révolter.
Cet affrontement est complété par la figure du soldat, joué par Piotr Sobolevski, venu contre son gré de sa province et dont les deux seules préoccupations semblent être d’apaiser sa faim et de retourner chez lui.
Dès le début le propriétaire du magasin invite Louise Poirier à un bal pour lui lancer qu’il a « soif d’amour ». Cette scène est là pour mettre face à face les deux incarnations pour ensuite représenter leur duel à distance et leur affrontement final. Tout se déroule entre le prolétariat et la bourgeoisie.
Les Prussiens ? Ce ne sont que des spectres qui hantent le film et dont on ne verra même pas le visage, Napoléon III et Thiers ne sont pas cités ni même les chefs de Commune de Paris. C’est d’ailleurs un prolétariat ou les femmes tiennent une large part notamment lors de la fameuse scène des canons.
Quelque soit la place qu’y tient la musique de Schostakovitch, avec même un piano sur une barricade, La Nouvelle Babylone est un film muet. Mais ce qui frappe c’est cette façon tout d’abord de Kozintsev et Trauberg de percuter les images pour les faire parler.
C’est entre autre cette image du marteau d’un artisan s’abattant sur un talon auquel succède la Colonne Vendôme qui s’abat. Comme un mot d’ordre de faire s’abattre les idoles.
Ce sont aussi ces actrices et acteurs filmés en gros plan et dont tout le jeu se concentre dans des jeux de regards voire même une torsion des mains. Comme si cette opérette que le patron de La Nouvelle Babylone fait répéter avait tout contaminée.
Au moment ou les troupes versaillaises écrasent les barricades de la Commune la bourgeoisie, contemplant la scène depuis les hauteurs de Versailles situé à « seulement » 25 kilomètres de la capitale, acclame sa victoire comme un public salue le morceau de bravoure d’une opérette puis se transporte à Paris dans un café Empire, façon de dire que l’instauration de la République n’avait été qu’un simulacre, et donne libre cours à ses désirs de vengeance sur ce prolétariat vaincu.
La musique de Schostakovitch, qui mériterait une analyse en soi, est aussi un condensé d’influences ou l’on reconnaît au passage la Marseillaise et tout un pot pourri d’opérettes.
La Nouvelle Babylone sorti le 18 Mars 1929 en URSS est présenté comme le dernier film en tant que tel inspiré par la Fabrique du Théâtre Excentrique. Le cinéma parlant est arrivé et surtout Staline a assez peu le goût des avant gardes. Kozintsev-Trauberg-Schostakovitch reprendront le chemin des écoles et de l’académisme.
Dans Le retour de Maxime on verra même leur héros faire la leçon à un sosie de Trotski sur un point de doctrine. La Nouvelle Babylone ne sortira officiellement en France que 42 ans plus tard, en 1971 soit cent ans après la Commune.
Le public pourra alors découvrir sur les écrans parisiens à quelques distances des hauteurs de Montmartre et du mur des fédérés La Nouvelle Babylone une tentative fiévreuse, foisonnante d’élaborer une grammaire cinématographique à la hauteur des espérances d’une révolution prolétarienne et d’ouvrières saisissant leur destin pour oeuvrer à leur propre fortune.
La Nouvelle Babylone n’a pas été le seul film sur la Commune. On peut compter notamment :
- La Commune, film d’Armand Guerra
- L’émeute sur la barricade de la réalisatrice Alice Guy
- La pipe du Communard, film soviétique de Constantin Mardjanov 1929
- La Commune de Paris de Peter Watkins 2000
Merci @Commune2021 pour toutes ces précisions.
Merci à Morvan Lallouet pour le point concernant les communes ukrainiennes baptisées Commune de Paris.
Pour ce qui est de la date de sortie on se base sur l’article de Myriam Tsikounas qui fait autorité sur cette époque même si Wikipédia et Kinoglaz donnent chacun une autre date.
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