Jazzycolors 2022 – Retour sur la vingtième édition de ce festival international de Jazz organisé par le Ficep, qui s’est tenu du 3 novembre au 3 décembre dans les centres culturels étrangers de Paris.
Jazzycolors est le festival de la découverte et de l’inattendu, et cette édition n’a en rien dérogé à la règle. Mise à part quelques têtes d’affiches, les Centres Culturels proposent des artistes reconnus dans leur pays mais qui ne le sont pas chez nous. Un privilège donc de découvrir ces artistes, parfois emblématiques, dans des conditions privilégiées avec une véritable proximité avec les artistes.
Cette année nous avons voulu mettre davantage en avant ceux qui font l’identité, la force et le caractère unique de ce festival : les centres culturels qui ont accueillis ces 21 concerts, coordonnés par le FICEP (Forum des Instituts Culturels Etrangers de Paris) qui organise le festival.
Certains centres qui n’ont pas les infrastructures nécessaires à la tenue d’un concert sont accueillis chez les autres le temps d’une soirée. C’est ça l’esprit de Jazzycolors et c’est cela que nous apprécions tout particulièrement. De semaines en semaines nous avons pu être le témoin de cette solidarité et collaboration entre les différents pays participants, avec au final une édition d’une très grande qualité et diversité.
Ils sont 9 à s’être partagés les 21 concerts de la programmation 2022, plus un tout nouveau lieu partenaire, l’Entrepôt. Nous avons choisi de vous les présenter à travers les concerts qui nous ont particulièrement marqué parmi la programmation 2022.
LE CENTRE TCHEQUE, Le berceau
Jazzycolors n’existerait pas sans le Centre Tchèque, car c’est ici en 2002, dans les locaux du 18 rue Bonaparte au coeur de Saint Germain des Prés, qu’est née l’idée de ce festival.
Un an plus tard Jazzycolors était lancé.
20 ans plus tard, l’actuel directeur du centre, Jiří Hnilica, perpétue cette histoire en accueillant chaque année plusieurs concerts dans le désormais célèbre Paris Prague Jazz Club, dans les sous sols du Centre Tchèque.
Durant cette édition 2022, cette superbe cave voutée à l’ambiance comme nulle autre pareille a vu se produire 4 formations de différentes nationalités, de l’Autriche à l’Irlande en passant évidemment par la République Tchèque.
On retiendra notamment la superbe prestation du duo tchèque Tara Fuki, qui nous a charmé avec ses deux voix en dialogue avec les mélodies sorties de leurs violoncelles.
L’INSTITUT LISZT, l’historique
Le centre culturel Hongrois, récemment renommé Institut Liszt, fait lui aussi partie de l’identité de Jazzycolors depuis de très nombreuses années, lui qui accueille régulièrement les concerts d’ouverture ou de clôture. Il faut dire que la salle de concerts a de quoi séduire les mélomanes avertis.
« L’un des meilleurs pianos de Paris« , comme aime le dire le parrain du festival, Bojan Z.
C’est donc naturellement sur ce magnifique Steinway & Sons que notre cher pianiste franco serbe a lancé avec panache cette édition anniversaire.
Lui qui aime proposer chaque année un concept inédit, comme il nous le disait dans l’interview qu’il nous avait accordé en 2019, nous a proposé cette année un piano solo agrémenté de boucles électro, toujours accompagné de son fidèle « xénophone » : un Fender Rhodes que Bojan a lui même trafiqué pour en sortir un son reconnaissable entre mille.
Quelques jours plus tard c’est le Luxembourg qui a investi les lieux avec le trio Dock In Absolute. La scène jazz luxembourgeoise est foisonnante et mérite que l’on s’y intéresse, et s’exporte d’ailleurs bien plus à l’étranger que sur son propre territoire, comme en témoigne la venue de la télévision luxembourgeoise RTL présente ce soir là pour interviewer ce trio dans le cadre d’un reportage sur la nouvelle scène jazz du Grand Duché.
Le trio créé autour du pianiste Jean Philippe Koch nous a proposé des extraits de son dernier album « Unlikely », ainsi que des extraits de son troisième album qui sortira dans quelques mois. On y retrouve des sonorités qui ne sont pas sans rappeler le jazz scandinave à la Esbjörn Svensson ou le son des groupes anglais Gogo Penguin ou Mammal Hands.
Un vrai coup de coeur !
L’Institut Liszt a particulièrement soigné la soirée de clôture en ses lieux, en invitant l’un des meilleurs pianistes du pays, Kalman Olah, dont la réputation internationale n’est plus à faire.
Accompagné notamment par l’un des plus grands batteurs hongrois, Elemer Balasz (qui avait participé à l’édition « virtuelle » de Jazzycolors en 2020 avec son propre groupe), Kalman Olah et son quartet ont proposé un jazz de très grande facture pour mettre un point final à cette vingtième édition, avec des morceaux issus notamment de leur dernier album « Mosaïcs ».
Le Goethe Institut, le fidèle allié
Il serait fort dommage de ne pas profiter du très bel auditorium du Goethe Institut, le centre culturel allemand situé dans le quartier d’Iéna.
Une scène qui voit chaque année défiler plusieurs artistes de différents pays, qui témoigne donc de cette volonté d’ouverture et d’entraide entre centres culturels étrangers membres du FICEP.
Suisse, Allemagne, Pologne et Ukraine ont donc pu avoir le plaisir de faire résonner leurs notes et leurs textes dans cette salle à l’acoustique travaillée.
Incontestablement l’une des têtes d’affiche de ce festival, la venue à Paris de Nils Wogram était à ne pas rater.
Le tromboniste allemand, considéré comme l’un des meilleurs actuellement, est habitué des scènes françaises avec le célèbre Michel Portal, mais c’est la première fois qu’il présente son propre projet « Nostalgia » à Paris. Accompagné de deux grands noms du jazz européen, le batteur serbe Dejan Terzic et l’organiste Arno Krijger, ils nous ont joué notamment leur cinquième album « Things we like to hear ». Du grand art, assurément.
Stars en leur pays, Dagadana était attendu comme l’un des temps forts de cette vingtième édition, et ce concert a largement tenu ses promesses. Avec leurs coiffes traditionnelles Houtsoules (peuple des Carpates du sud de l’Ukraine), la polonaise Daga et l’ukrainienne Dana ont enchainé les titres en polonais et en ukrainien à travers une musique où sonorités traditionnelles et sons électros se mélangent dans une sublime harmonie vocale.
Une très très belle découverte que l’on peut poursuivre avec l’écoute de leur dernier album « Tobie« , ou de leur disque « Meridian 68 » devenu emblématique dans la carrière de ce groupe basé en Pologne.
Très attendu, le concert présenté par le Printemps Ukrainien en lien avec l’Institut Ukrainien a forcément eu une résonance très particulière ce soir là.
C’est dans une salle comble que la pianiste Nataliya Lebedeva et la chanteuse Laura Marti ont proposé un programme tout en émotion. Artistes reconnues dans leur pays (Nataliya Lebedeva est considérée comme l’une des plus grandes pianistes ukrainiennes) avec leurs propres projets, elles ont néanmoins l’habitude de travailler ensemble et ont créé spécialement cette année un récital qu’elles jouent à travers l’Europe. Notamment en Allemagne où elles résident depuis quelques mois, dans le but de récolter des fonds pour soutenir la résistance ukrainienne dans la guerre qui frappe le pays depuis le mois de mars.
Elles nous ont proposé plusieurs morceaux en anglais issus d’un disque enregistré cette année en Allemagne avec plusieurs musiciens ukrainiens : un disque dont la sortie est prévue au printemps.
Mais aussi des réarrangements de morceaux traditionnels ukrainiens (et une chanson en arménien en ouverture, en hommage à ses racines arméniennes), avant de terminer leur concert par une reprise de « C’est si bon » d’Yves Montand : un clin d’oeil à cette langue française que Laura Marti découvre toute petite avec un disque d’Edith Piaf trouvé par sa mère.
Une soirée riche en émotions, dont l’écho de l’actualité résonne encore plus fort avec l’interprétation incroyable des textes chantés par Laura Marti, accompagnée de la virtuosité de Nataliya Lebedeva au piano.
Le Centre Culturel Irlandais, le quartier général
Situé au coeur du quartier latin dans le Collège des Irlandais, à deux pas du Panthéon, le Centre Culturel Irlandais est depuis 2002 le lieu de référence pour tous les amoureux de la culture irlandaise. Avec son incroyable cour intérieure, c’est aussi le coeur de Jazzycolors, puisque les bureaux du FICEP y sont installés, non loin de celui de la directrice Nora Hickey M’Sichili qui officie aussi comme présidente du FICEP depuis plusieurs années.
C’est dans la Chapelle Saint Patrick que Jazzycolors prend chaque année ses quartiers.
Cette année encore l’Ambassade d’Estonie nous a proposé un beau concert avec la chanteuse Susanna Aleksandra, qui nous a présenté son dernier album « The Siren », qui compte parmi les albums de jazz les plus prisés de l’année en Estonie.
L’Institut Culturel Italien, le majestueux
Jazzycolors est aussi l’occasion de pénétrer dans de magnifiques hôtels particuliers, que ce soit des Ambassades ou des Centres Culturels.
L’Institut Culturel Italien de Paris, situé face à l’Hôtel de Matignon, fait partie de ces lieux.
Grands salons d’apparat, dorures du sol au plafond, piano Fazioli plein centre… Quel magnifique écrin de choix pour mettre en lumière un petit pays très peu représenté : le Kosovo. C’est ici que le Centre Culturel du Kosovo a été invité à présenter son concert pour sa première participation au festival Jazzycolors.
Et quel concert ! Les adjectifs manquent pour qualifier ce que l’on a pu entendre ce soir là. Un dialogue très original entre le piano d’Arbend Ramadani et la guitare électrique d’Armend Xhaferi.
Baptisé « No frame », les deux musiciens ont souhaité « sortir du cadre » et dépasser les lignes, les frontières, pour se laisser naviguer là où l’inspiration du moment les amène. Finesse du jeu et de la mélodie, émotion à chaque note, les deux compères ont largement conquis le public, en présence de l’Ambassadeur du Kosovo en France : SE Mehdi Halimi. Magique !
Un projet tout frais puisqu’un premier album devrait prochainement sortir, nous vous en reparlerons !
Maison du Danemark, le Bicolore
Direction les Champs Elysées où la nouvelle salle de concerts de la Maison du Danemark a accueilli le festival deux jours de suite dans le cadre de ses soirées Jazz Danois avec deux projets issus de la nouvelle scène danoise qui fait exploser les frontières du jazz vers de nouveaux horizons. On retiendra surtout l’inoubliable prestation de Ginne Marker.
Incontestablement l’une des plus belles découvertes de l’année, quelle joie de la retrouver une nouvelle fois à Paris cette année, après un merveilleux concert en juin dernier au mythique Jazz Club Etoile.
La chanteuse et guitariste nous a offert un moment d’anthologie autour de son dernier album « Ulteria« , accompagnée entre autres par Aske Jacoby (considéré comme l’un des plus grands guitaristes danois) et par le bassiste français Laurent Vernerey (Johnny Hallyday, Claude Nougaro etc), devant une foule venue en masse applaudir cette étoile montante de la scène danoise.
Une artiste à suivre assurément, et à voir sur scène pour découvrir toute l’étendue de son talent de songwritter et de guitariste.
Institut Suédois, l’intimiste
Situé dans le Marais, l’Institut Suédois est une véritable institution. Ouvert en 1971, c’est l’unique centre culturel que possède la Suède à l’étranger. C’est donc dans la salle de concerts de l’Hôtel de Marle que s’est déroulé l’un des moments forts de cette édition : une véritable création pour Jazzycolors !
Si d’ordinaire les groupes viennent proposer leurs projets, il arrive parfois que l’on nous propose de l’inédit.
La rencontre entre le renommé pianiste suédois Mattias Nillsson et l’emblématique chanteur slovaque Marcel Palonder (qui a notamment fondé le premier club de jazz à Bratislava après la Révolution de Velours de 1989), en était une.
Le cadre intimiste et feutré de l’Institut Suédois était parfait pour mettre en lumière ce sublime dialogue suédo-slovaque créé spécialement pour l’occasion, autour de standards de premier choix (April in Paris, Blackbird…) et de compositions des deux artistes.
Centre Culturel de Serbie
Habitué des programmations de Jazzycolors, le Centre Culturel de Serbie, idéalement situé face au Centre Pompidou, nous a offert un très beau moment d’évasion avec les belgradois de Schime.
Le quintet, venu à 4 ce soir, nous a proposé des extraits de leur dernier album enregistré avec un orchestre à cordes de 19 musiciens, autour des compositions du saxophoniste Luka Ignjatović mais aussi du pianiste Sava Miletić.
Un groupe Est Européen qui sonne très occidental et que nous pourrions retrouver dans la chaleur des clubs new yorkais, voilà encore un groupe qui a conquis le public du festival par la qualité et la générosité de son jeux !
Le Centre Culturel Coréen, l’invité venu de loin
Parmi les 21 concerts proposés cette année, le Centre Coréen est le seul extra européen a avoir accueilli une soirée Jazzycolors (le Centre Culturel Canadien n’ayant finalement pas pu participer).
Cette année c’est l’Institut Culturel Bulgare qui a investi les lieux et son bel auditorium, pour nous présenter un grand nom du jazz bulgare : le pianiste Vassil Spassov.
Venu en trio, il nous a proposé un jazz finalement assez classique dans sa forme mais d’une vraie richesse musicale. Il nous aura fait un beau cadeau en interprétant un morceau spécialement composé pour ce concert, « Autumn in Paris » !
L’Entrepôt, l’outsider
Cette année un nouveau lieu est venu compléter l’offre déjà riche de Jazzycolors, l’Entrepôt.
Ce lieu culturel du 14ème arrondissement, à la fois restaurant et petite salle de concerts, a accueilli deux concerts dédiés à Taïwan et à la Grèce.
Le Centre Culturel Héllénique a choisi de nous faire découvrir la chanteuse Christina Psycha, accompagnée de son fidèle pianiste Nikolas Anadolis ainsi que de deux musiciens français.
Pour son tout premier concert à Paris, elle nous a présenté avec élégance et émotion son premier album « Violetera« , entièrement chanté en grec avec finesse et douceur, avec en tête les superbes single « Sinevi » (Συνέβη) et « Einai Konta » (Είναι Κοντά).
> Découvrez la galerie photo complète du festival sur ce lien <
En définitive, le FICEP et ses Centres Culturels nous auront encore gâtés d’une programmation d’une incroyable qualité et richesse musicale.
Avec une vraie diversité de sonorités au fil des concerts, cette édition anniversaire de Jazzycolors illustre parfaitement le jazz d’aujourd’hui avec une musique qui sait se parer de mille et unes influences venues aussi bien du classique, de la pop, de l’électro, du rock et même de la musique traditionnelle.
Le FICEP a mis la barre très haute cette année et le public a lui aussi été à la hauteur puisque les lieux ont fait salle comble sur quasiment chaque concert, devant parfois même refuser du monde. Un gage de qualité et un succès amplement mérité !
Une édition 2022 d’une telle qualité et d’une telle diversité qu’il est bien difficile d’établir un Top 5 de nos coups de coeurs.
Osons donc vous faire partager un Top 5 totalement subjectif mais assumé !
- 1/ Ginne Marker (Danemark)
- 2/ Dock In Absolute (Luxembourg)
- 3/ Arben Ramadani & Armend Xhaferi (Kosovo)
- 4/ Dagadana (Pologne/Ukraine)
- 5/ Laura Marti & Natalia Lebedeva (Ukraine)
- Et une mention spéciale à Bojan Z, évidemment !
Nous tenons à remercier chaleureusement Anna, coordinatrice du FICEP, pour son formidable accompagnement tout au long de ce festival, ainsi que tous les centres culturels pour leur accueil toujours de qualité, sans oublier les artistes pour leur disponibilité avant ou après les concerts !
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.