Restons en Bosnie Herzégovine avec l’une des plus grandes voix des Balkans, Amira Medunjanin, qui nous offre un tout nouveau disque dans lequel elle rend hommage à sa manière à deux grands noms de la musique populaire yougoslave.
Amira Medunjanin c’est avant tout une voix hors du temps, élégante, profonde, acclamée par la presse mondiale comme l’une des plus grandes des Balkans et même d’Europe de l’Est. Surnommée la “Billie Holiday des Balkans” par le journal anglais The Guardian, cette artiste sarajevienne donne des frissons aux publics du monde entier dans un registre traditionnel mais novateur.
Comme nous l’a si bien décrit Bojan Z dans l’interview qu’il nous a accordé l’an dernier, Amira est une artiste profondément humaniste qui “veut utiliser la force de la musique pour unir les gens au delà de toute considération politique”. “Que l’on soit serbe, bosniaque, croate, macédonien ou slovène, sur un même morceau ils pleureront tous exactement au même endroit”, poursuivait-il.
Si historiquement la Sevdah est davantage chantée par des hommes, les femmes ont su s’imposer au fil du temps dans cet art ancestral du chant, à l’image de célébrités comme Emina Zecaj ou Beba Selimovic. Amira Medunjanin fait partie de cette nouvelle génération d’interprètes qui offre un souffle nouveau à la Sevdah moderne dans un style plus grand public où des influences classiques et jazz se mêlent aux sonorités traditionnelles des Balkans, son meilleur exemple étant son sublime album “Damar” sorti en 2016.
Après son “Live at arena” sorti l’an dernier, dont nous avions parlé et auréolé de la Meilleure performance vocale féminine aux récents Porin Awards à Pula (Croatie), Amira Medunjanin revient dans les bacs au début de l’été 2020 avec un projet inédit et unique, “For him and her“.
Pour Silvana & Toma
Dans ce nouvel album enregistré en décembre dernier à Boston (USA), Amira Medunjanin a choisi de rendre hommage à deux grands artistes parmi les plus populaires de l’époque yougoslave : la bosnienne Silvana Armenulić et le serbe Toma Zdravković, deux figures qui ont fortement influencé Amira durant sa vie, bien que leurs chansons aient été publiées avant sa naissance.
Ces deux artistes majeurs ont collaboré ensemble dans les années 60 et 70, une collaboration qui a donné naissance à l’un des plus grands tubes de tous les temps en Yougoslavie,”Šta će mi život, bez tebe dragi“, écrit par Toma Zdravković en 1969. Érigés en véritables stars, Silvana Armenulić chanta même à plusieurs reprises pour Tito et son épouse.
Malheureusement leur duo pris rapidement fin quelques années plus tard avec la mort de Silvana en 1976 dans un accident de voiture à seulement 37 ans. La carrière de Toma Zdravković s’est poursuivie malgré le drame, avant de sombrer dans l’alcool et de partir quelques temps au Canada. Son retour en Yougoslavie à la fin des années 80 a été couronné de succès, le public ne l’ayant jamais oublié. Il décédera d’une longue maladie à l’âge de 57 ans en septembre 1991 à Belgrade.
Un hommage à la musique populaire yougoslave
C’est cette période faste et ces succès restés gravés dans la mémoire collective de la musique populaire yougoslave qu’Amira a voulu remettre en lumière, en les faisant découvrir aux nouvelles générations grâce à des réarrangements de 12 morceaux, parmi les plus grands succès d’Armenulić et de Zdravković. Cet album résume à lui seul deux pans de l’identité culturelle yougoslave en combinant la force émotionnelle de l’ancestrale Sevdah et les mélodies populaires de la Kafanska Muzika (plus communément appelée folk) apparue dans la seconde moitié du XXème siècle.
Ces chansons autrefois chantées dans la chaleur des fameuses Kafana yougoslaves sont aujourd’hui revisitées avec des arrangements moins chargés (d’aucun diraient moins “kitsch”, car c’est bien l’image que l’on peut en avoir d’un point de vue occidental), plus intimistes, qui mettent réellement le texte au centre tout en conservant le phrasé typique des sevdalinkas.
Pour réaliser ce disque hommage, Amira Medunjanin s’est entourée d’une équipe de grands musiciens. À commencer par son fidèle acolyte, le pianiste franco serbe Bojan Z avec qui elle collabore depuis une dizaine d’années (ici aux claviers et aux percussions), mais aussi les bosniaques Predrag Vasić à la guitare et à la mandoline, Mustafa Šantić à l’accordéon, le macédonien Ismail Lumanovski à la clarinette, l’ukrainien Shyrkhan Agabeyli à la basse et le serbe Vladimir Ćuković au violon.
Difficile de ne pas ressentir d’émotions à l’écoute de cet album où la voix d’Amira Medunjanin impressionne toujours autant par sa justesse, sa profondeur et sa sensibilité.
“For Him and Her” est un disque à part dans la discographie d’Amira, plus enjoué, plus tourné vers la culture populaire yougoslave, mais néanmoins ancré dans le style caractéristique qui a fait la réputation d’Amira Medunjanin depuis une quinzaine d’années. C’est incontestablement l’un des plus beaux disques de cette année, un magnifique hommage d’une artiste au grand cœur pour qui l’émotion n’a pas de frontières ni de nationalités.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.