Une fois n’est pas coutume, intéressons-nous aujourd’hui à l’hymne national de la Bosnie-Herzégovine. Alors qu’un hymne est supposé unir un pays, celui-ci semble plutôt faire le contraire, découvrons pourquoi !
En Europe centrale et orientale, il existe des hymnes célèbres, comme le russe, qui n’est en fait qu’une reprise du soviétique, seul le texte changeant, ou encore l’hymne polonais, qui reprend une vielle musique slave, qui avait été autrefois utilisée par la yougoslavie, ainsi que par l’État fasciste de Slovaquie durant la seconde guerre mondiale. Il existe aussi d’autres hymnes, que personne ne connaît, et que personne ne veut, y compris les populations locales… celui de Bosnie en fait partie !
Avant d’expliquer pourquoi, écoutons-le un peu, voici donc Intermezzo :
Il est beau et calme, n’est-ce pas ? Peut-être même un peu trop prévisible.
Les paroles ? Il n’y en a pas ! Tout au moins pas d’officielles, le parlement bosnien ne les ayant jamais officiellement approuvées.
Observons maintenant l’utilisation de l’hymne “dans le contexte”, comme par exemple ici lors d’un match de football Bosnie-Autriche en 2018 :
Etrange, non ? Alors que l’hymne diffusé est bel et bien celui que nous avons entendu plus haut, on peut voir que les supporters en chantent un totalement différent. Le drapeau qu’ils brandissent, d’ailleurs, n’a strictement rien à voir avec le drapeau officiel du pays.
1992-1998: d’un hymne à l’autre
Pourquoi donc tout ceci ?
Pour mieux comprendre, revenons un peu en arrière sur la situation du pays et sur l’historique de l’hymne.
Lorsque la Bosnie-Herzégovine déclare son indépendance en 1992, sa souveraineté est très rapidement contestée par deux des trois communautés majoritaires du pays, les serbes et les croates, seuls les bosniaques défendant farouchement l’indépendance face aux volontés de rattachement du pays à la Croatie ou la Serbie, ce qui conduira au tristement célèbre conflit de 1992-1995.
Dans ce contexte, le drapeau et l’hymne du pays choisis en 1992 sont un choix essentiellement bosniaque, bien qu’ils ne fassent pas référence spécifiquement à la communauté, ni à sa religion.
Le drapeau adopté fait ainsi référence au royaume médiéval de Bosnie, et un chanteur Bosniaque, Dino Merlin, reprend l’air d’une vieille chanson de Bosnie pour créer un hymne vantant l’attachement au pays, à son unité et à sa nature, « Jedna si Jedina », « Une et unique », (l’hymne que les supporters chantent lors du match de handball).
Une fois la guerre finie, l’heure est à la réconciliation, sous la supervision de la communauté internationale. Dans ce contexte, les symboles adoptés en 1992 apparaissent comme trop clivants. La communauté internationale fait alors pression sur le Parlement national, qui finit par adopter de nouveaux symboles, intermezzo en fait partie, avec par exemple le drapeau, qui prend l’apparence que nous lui connaissons désormais, mais aussi d’autres détails, comme par exemple les plaques d’immatriculation.
Depuis 1998 : un hymne sans légitimité ?
Affaire réglée, pensez-vous ? Ça y est, le pays est uni sous un même drapeau, chantant à l’unisson ?
Et bien non !
Tous ces nouveaux symboles sont loin d’être adoptés par la population. Les serbes et les croates de Bosnie, aux aspirations séparatistes, ne voient pas l’intérêt d’adopter des attributs d’un pays dont ils questionnent la souveraineté, alors qu’ils disposent déjà de leurs symboles : les drapeaux et hymnes serbes et croates. Concernant les serbes de Bosnie, cela va encore plus loin, vu qu’ils disposent de symboles constitutionnellement reconnus. La question du rajout de paroles, par ailleurs, est au point mort depuis 2009. Un texte a été accepté par les représentants des trois communautés, mais n’a jamais été formellement approuvé.
« Moja republika », l’hymne officiel de la république serbe de Bosnie
Et les bosniaques, dans tout ça ? Eux non plus ne voient pas l’intérêt d’un nouvel hymne, sans paroles, alors qu’ils en avaient déjà créé un qui convenait fort bien !
C’est ainsi que nous en sommes arrivés à cette situation : un hymne national officiel, qui n’est reconnu par personne, alors que fleurissent les symboles des trois communautés. Ironiquement, la chanson est au final très symbolique de la situation du pays !
P.S. : Et s’il fallait achever encore un peu plus le sort de ce pauvre hymne qui n’avait rien donné, pas mal d’internautes ont souligné la proximité de l’hymne avec la bande originale d’American College (National Lampoon’s Animal House), un teen movie américain des années 80. Accordons le bénéfice du doute à son créateur, mais il faut reconnaître que les deux airs sont proches !