Retour sur la onzième édition du Salon du Livre des Balkans, qui s’est tenu les 8 et 9 décembre derniers dans les locaux de l’Inalco à Paris.
Les « Langues O' », quoi de mieux que cette institution mythique pour mettre à l’honneur les langues et littératures des Balkans. Plus de dix ans maintenant que le Salon du Livre des Balkans s’efforce de dénicher le meilleur de l’actualité littéraire de la région. Il faut dire que l’offre y est riche et foisonnante et chaque année apporte son lot de nouveautés. Une offre rendue possible par le formidable travail de fourmi des maisons d’éditions indépendantes mais aussi des traducteurs. C’est grâce à ces professionnels passionnés que l’on a aujourd’hui la possibilité de redécouvrir des auteurs historiques en français, mais aussi de découvrir tant de nouveaux talents.
Romans, bandes dessinées, poésies, documentaires ou recueils photographiques…autant d’occasions pour les visiteurs d’assouvir leur passion pour les Balkans, mais aussi pour les moins connaisseurs d’en apprendre plus sur l’histoire et les cultures si riches de ces pays qui ont tant à offrir.
Nous avons choisi de vous présenter quelques ouvrages parmi nos coups de coeurs et ceux de leurs éditeurs. Bonne découverte !
La parole aux femmes de l’Est
Les éditions Intervalles sont des fidèles du Salon, et nous apprécions y découvrir ses nouveautés. Cette année, son directeur, Armand de Saint Sauveur, est fier de nous présenter un tout nouveau projet collectif : « Filles de l’Est, Femmes à l’Ouest ».
Initié par la serbe Sonia Ristić et la tchèque Lenka Horňáková-Civade, ce projet réunit huit autrices venues de l’Est de l’Europe avant la chute du Mur et qui vivent toutes aujourd’hui en Europe de l’Ouest.
« Elles interrogent cette double appartenance à travers des textes inédits d’une très grande actualité, qui sont à la fois très personnels et très universels, et sont des textes très intéressants par rapport l’identité européenne », nous explique Armand de Saint Sauveur.
Bien que venues de pays différents (Serbie, République Tchèque & Slovaquie, Pologne, Roumanie, Russie, Estonie ou Bulgarie), des pays parfois disparus depuis comme la Yougoslavie ou la Tchéchoslovaquie, leur expérience est différente mais elles partagent de nombreux points communs et livrent ensemble un regard relativement neuf par rapport à ce que l’on a pu lire jusqu’ici.
L’autrice serbe Sonia Ristić a également sorti un tout nouveau roman cette année, « Ceux qui se perdent« , son cinquième paru chez Intervalles. Entre le roman et le recueil de nouvelles – illustré par Sonia Ristić elle même – nous y suivons les destins de femmes face au monde d’aujourd’hui et qui « ont en commun la volonté farouche de s’en sortir par tous les moyens ».
Direction ensuite la Bulgarie, où la scène littéraire s’exporte plutôt bien depuis quelques années, avec notamment Gospodinov.
Intervalles vient de rééditer en poche le premier roman d’Albena Dimitrova, « Nous dînerons en français« , ouvrage multiprimé depuis sa première parution en 2015. Il raconte l’histoire d’une femme et d’un aparatchik dans les derniers jours du régime soviétique en Bulgarie. Son nouveau roman paraitra en français dans quelques semaines, « L’or qui fait de l’or« .
Armand de Saint Sauveur tient également à nous présenter le dernier roman d’un jeune auteur bulgare, Anguel Igov, « Les Doux » qui se passe pendant le coup d’Etat communiste en 1944 à Sofia et qui retrace presque au jour le jour les événements au travers des yeux des habitants d’un quartier de Sofia qui commentent ces événements au fur et à mesure qu’ils se passent.
Avec Valter au coeur de Sarajevo
La bande dessinée était l’un des sujets centraux de cette onzième édition du Salon du Livre des Balkans. Il faut dire qu’à son apogée dans les années 80, la marché de la BD en Yougoslavie était le quatrième plus important au monde !
Nous avons voulu nous intéresser à une bande dessinée qui a fait parler d’elle dès sa sortie, celle du bosnien Ahmet Muminović, « Valter défend Sarajevo » (« Valter brani Sarajevo »), éditée pour la première fois en français par Rive Neuve, et traduite par Boba Lizdek (qui fut traductrice des journalistes et des militaires français pendant le siège de Sarajevo en 1992-1995).
Décédé en 2019, Ahmet Muminović fut l’un des auteurs les plus lus de Yougoslavie : ses aventures de Valter ont été tirées à des millions d’exemplaires dans les années 80, participant alors à l’aura de ce mystérieux personnage devenu un héro national et dont un célèbre film a marqué toute une génération, « Valter défend Sarajevo » réalisé par Hajrudin Krvavac en 1972.
Inspirées par ce film partisan, les planches de Muminović mettent en scène Valter, nom de code de Vladimir Perić, partisan engagé dans la résistance durant la Seconde Guerre Mondiale face à l’occupant allemand. Un soldat qui fera tout pour sauver Sarajevo de l’occupation des nazis, et qui deviendra, à 21 ans seulement, un véritable symbole d’unité nationale.
Cette édition française est agrémentée en fin de volume d’un cahier signé Jean Arnault Derens permettant de remettre l’histoire dans son contexte historique et de comprendre les faits réels qui ont inspiré l’auteur.
D’ailleurs une nouvelle édition augmentée est en préparation, comme nous l’a confié Gilles Kraemer, directeur des éditions Rive Neuve.
La renaissance d’August Šenoa
Figure essentielle de la littérature croate, August Šenoa introduit pour la première fois dans la littérature croate la notion de roman historique, au XIX siècle. Le public français le redécouvre cette année grâce aux Editions Faustine avec la première traduction française de « Cuvaj se senjske ruke » : « Prends garde à la main de Senj« . Paru en 1876, ce monument de la littérature croate, écrit en pleine période du Renouveau National, a été traduit par Chloé Billon, l’une des meilleures traductrices actuelles du croate.
Ce roman de cape et d’épée nous plonge dans le XVIIème siècle dans le port de Senj, sur la côte croate, là où les pirates uscoques engagés par les Hasbourg protègent l’accès à la mer face aux invasions ottomanes. Une situation mal vue par les Vénitiens qui eux voudraient bien prendre le contrôle du port pour régner enfin en maître sur toute l’Adriatique. Intrigues, complots, combats, brigands et rivalités en tous genres sont au coeur de ce roman inspiré de faits réels et mainte fois adapté à l’écran ou en bandes dessinées.
Le destin des juifs des Balkans
Née il y a dix ans, Lior Editions est centrée sur la langue et la culture judéo espagnole. Une thématique essentielle dans les Balkans puisqu’une grande communauté juive séfarade fut établie dans les Balkans jusqu’au début du XXème, notamment à Sarajevo en Bosnie Herzégovine ou à Salonique en Grèce, après avoir été chassés d’Espagne à la fin du XVème siècle.
« Les lumières de Sarajevo » de Moïse Abinum avait été à l’honneur lors du précédent salon, et cette année deux nouveaux romans biographiques nous sont présentés, et se déroulent chacun dans l’Istanbul des années 1910-1920.
Nissim M. Benezra est né dans une famille très pauvre, devient orphelin très jeune après avoir perdu son père dans les combats des Dardannelles, ainsi que sa mère morte de faim pendant la famine qui règne à Istanbul pendant la Première Guerre Mondiale. Son livre « L’orphelin du Bosphore » suit son parcours depuis l’orphelinat où il découvre la littérature française, qui sera pour lui une véritable révélation, jusqu’à son immigration en France en 1929. « C’est un livre assez satirique dans lequel il évoque à la fois les classes aisées et l’hypocrisie de la religion« , mais aussi une ôde à la vie et à toutes les épreuves qu’il a subit dans ses jeunes années.
Victor Eskenazi est aussi un orphelin issu de la communauté Séfarade d’Istanbul dans les mêmes années. Recueilli par un oncle médecin, il lui transmettra toute son affection, sa sagesse et son expérience. Il quitte Istanbul pour rejoindre un oncle banquier à Vienne, puis part à Milan auprès d’un autre oncle marchand d’antiquités. Il obtient ensuite la nationalité britannique et rejoint Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale où il s’engage dans les services secrets. Son livre « Un gentleman ottoman » raconte ses jeunes années jusqu’à ses missions au Caire pour le compte des services secrets britanniques et son retour à Istanbul où il va déjouer un complot d’espions au sein d’une Ambassade.
Ces deux auteurs de la même génération nous offrent deux visions différentes de la vie à l’époque du déclin de l’Empire Ottoman et de la naissance de la Première République Turque, mais leurs livres respectifs, autobiographiques, ont en commun cet esprit d’aventure et de résilience.
Le destin des juifs de Salonique, en Grèce, est aussi au coeur du dernier ouvrage du photographe Martin Barzilai, « Le cimetière fantôme« …En véritable enquêteur et passeur d’Histoire, il a photographié et cartographié les fragments de pierres tombales issues de la destruction du cimetière juif de Salonique (le plus important d’Europe à l’époque) et qui ont été disséminées dans l’indifférence quasi totale dans le paysage urbain.
En effet, en lieu et place de ce cimetière détruit en 1942 par les Nazis, se dresse aujourd’hui l’Université. Mais que sont devenues toutes ces pierres tombales sacrées ? Certaines ont été utilisées pour monter des murs, des trottoirs, abandonnées au sol ça et là, certaines ont même été utilisées pour la construction du théâtre. C’est un vrai travail d’orfèvre qu’a réalisé Martin Barzilai, pour retrouver une vingtaine de lieux où sont encore visibles ces fragments aujourd’hui, dont les inscriptions en hébreux ou en ladino ont parfois été volontairement effacées.
Un morceau de l’Histoire grecque presque occulté par les autorités, mais qu’a révélé avec justesse et abnégation Martin Barzilai, pour ne pas oublier le destin de ces juifs effacés par l’Histoire et qui pourtant étaient à une certaine époque la population majoritaire de Salonique.
Les Balkans en 100 questions
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les Balkans tient dans les 350 pages du dernier livre de l’historien et journaliste Jean Arnault Derens (rédacteur en chef du Courrier des Balkans), co écrit avec Laurent Geslin et édité chez Taillandier, « Les Balkans en 100 questions – Carrefour sous influence ». Ni ouvrage scientifique, ni ouvrage trop vulgarisateur, il pose les questions essentielles sur les Balkans d’aujourd’hui.
« Nous avons fait le choix de réduire les Balkans à l’ancienne Yougoslavie et à l’Albanie« , nous confie Jean Arnault Dérens. « Nous évoquons la Bulgarie ou la Grèce, qui historiquement font partie des Balkans, mais sans se concentrer sur eux« , poursuit-il. L’idée de ce livre passionnant est de donner des repères pour comprendre les enjeux de cette région, à la fois historiques, géographiques, culturels, mais aussi en ouvrant sur toutes les problématiques contemporaines comme « l’environnement, les questions de genres, les réseaux criminels, les alternatives politiques qui existent ou qui n’existent pas, les questions liées à l’intégration européenne même si celle ci est totalement en panne actuellement, etc« .
Ces 100 questions aux réponses forcément courtes et non exhaustives, sont là pour décrypter simplement les enjeux des Balkans d’aujourd’hui, en comprendre l’importance pour l’ensemble de l’Europe, et ainsi pourquoi pas donner aux lecteurs d’aller plus loin dans leur découverte des Balkans.
Nous pouvons également citer les Editions des Syrtes dont la dernière sortie est un succès, « Rhapsodie Balkanique« , de l’autrice bulgare Maria Kassimova, mais aussi Zdenka Štimac dont les « Editions Franco Slovènes & cie » fêtent ses dix ans cette année et qui honore toujours le salon de sa présence année après année.
Entre ses nombreux stands éditeurs, sa librairie, ses rencontres et ses tables rondes aux sujets divers et variés, sa mise en avant des écoles de langues (bulgare et turque), le Salon du Livre des Balkans a une nouvelle fois permis de dresser un très beau panorama de la création littéraire et de l’actualité liée aux Balkans.
Nous tenons à remercier l’équipe du Salon pour l’accueil et sa confiance renouvelée, ainsi que les auteurs et éditeurs qui ont répondu à nos questions.
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