Une fois n’est pas coutume, le son de la semaine va s’intéresser aujourd’hui à un fait d’actualité, celui de la disparition du chanteur tchétchène gay Zelimkhan Bakaev depuis plus de deux mois. L’occasion pour nous de revenir sur la situation critique de la communauté LGBTQ en Tchétchénie.
Le chanteur Tchétchène montant
Il était l’une des étoiles montantes de la pop en Russie. Zelimkhan Bakaev était parti pour devenir l’une des nouvelles stars de la chanson russe. Repéré à Assa, un concours musical tchéténo-ingouche en 2013, sa carrière se dessine dans les années qui suivent, avec des titres come Nana ou Bez Tebya (sans toi), qui atteignent des records d’audience, non seulement au Caucase, mais aussi de plus en plus dans le reste de la Russie, le promettant à une célébrité dépassant ses montagnes natales.
À l’été 2017, vivant depuis peu à Moscou, sa participation prévue au casting pour la 10ème saison de New Star Factory (Fabrika Zvyozd, la version russe de la Star Academy) lui laissaient miroiter une possible carrière au niveau national, voire même international.
Disparition et silence radio
Zelimkhan, finalement, ne participera pas au casting. Le 8 août 2017, il retourne en effet en Tchétchénie, pour assister au mariage de sa sœur. Avant les noces, il se rend à Grozny, pour rencontrer des producteurs locaux, alors qu’il est, depuis peu, interdit d’antenne sur les ondes tchétchènes. On ne le reverra pas. D’après des médias indépendants Russes(la télévision Dozhd et Novaya Gazeta) citant des témoins , des hommes en uniformes l’auraient ce jour-là enlevé en pleine rue.
Depuis, aucune nouvelle. Son téléphone est éteint, il n’aurait depuis envoyé qu’un seul message, indiquant à sa famille qu’il allait partir à l’étranger. Le 24 septembre, rebondissement : la télévision d’Etat Grozny TV, proche du pouvoir Tchétchène, publie une vidéo de l’artiste, affirmant qu’il se trouve en Allemagne et qu’il ne souhaite pas rentrer en Russie, ni en Tchétchénie. Seul petit problème : le mobilier et les produits présents sur la vidéo sont Russes, et les polices aux frontières de l’espace Schengen sont formelles : Zelimkhan n’est jamais entré sur le territoire de l’UE.
Le 20 octobre, les craintes se confirment de plus en plus : Zelimkhan serait bel et bien mort. Le site LGBTQ NewNowNext publie en effet ce jour-là un article reprenant les propos de Igor Kochetkov, le fondateur de l’ONG russe LBGT Network, qui affirme, selon ses sources, que l’artiste aurait été arrêté, le 8 août, par les autorités tchétchènes pour « suspicion d’homosexualité », avant d’être amené dans un centre de détention, torturé puis tué dans les heures qui ont suivi. Si aucune source officielle ne vient valider ou contredire cette déclaration, elle vient en tout cas appuyer tous les témoignages indépendants de ces derniers mois : Bakaev n’est jamais reparti de Tchétchénie, car il y a été tué.
Cette disparition vient remettre en évidence la persécution de la communauté LGBTQ en Tchétchénie. En mai 2017, une enquête du journal russe Novaya Gazeta révèle que les autorités tchétchènes, menées par Ramzan Kadyrov, le président de la république autonome de Tchétchénie, mènent une « purge gay » sur son territoire. Les tchétchènes sont en effet encouragés à éliminer les homosexuels de leurs familles, ou bien à les dénoncer aux autorités, qui les arrêteront alors avant de les interner dans des camps, pour se charger de les exécuter. Kadyrov démentira mollement ces informations, affirmant qu’il n’y a pas d’homosexuels en Tchétchénie, car les familles s’occupent déjà de leur sort.
Les exactions du pouvoir tchétchène encore plus évidentes
La disparition de Bakaev vient, quelques mois plus tard, rappeler que la situation n’a pas évolué en Tchétchénie, malgré les maigres enquêtes du pouvoir central russe à ce propos. Au niveau politique, on peut cependant se poser des questions sur l’impact que cet assassinat aura.
Le pouvoir de Kadyrov, en effet, vient de rendre encore plus visible la situation des communautés LGBTQ sur son territoire. Le message est désormais clair, aucun gay ne sera épargné par sa politique, quelle que soit sa célébrité. L’affaire, cependant, pourrait au final se retourner contre le président tchétchène : la disparition d’une star, en effet, rend encore plus visible et évident le sort réservé aux homosexuels en Tchétchénie, et accentuer la pression internationale, mais aussi russe contre cette politique.
En attendant, les autorités de Grozny continuent à exécuter des personnes pour leur homosexualité…