Dans cette nouvelle série, nous partons à la découverte d’anciennes et futures villes de nos pays « Capitales Européennes de la Culture ». Commençons par l’échec retentissant de Maribor 2012 en Slovénie…
Lors de mon expédition « Bridges to the Balkans », j’ai eu l’opportunité de rencontrer des acteurs culturels de la ville de Maribor. Les personnes rencontrées sont unanimes, la ville de Maribor a complètement raté son année de Capitale Européenne de la Culture. Effectivement, durant mes entretiens, au moment où était abordée la question de l’Union Européenne, chaque personne interviewée m’a demandé la même chose : « Vous connaissez l’histoire de Maribor 2012 ? »
Mais revenons tout d’abord aux origines de ce titre à Maribor.
Le titre de Capitale Européenne de la Culture a été décerné en mai 2009 par le Conseil de l’Union Européenne à Maribor. Le projet comptait alors 5 villes partenaires : Murska Sobota, Novo Mesto, Ptuj, Slovenj Gradec et Velenje.
Il faut savoir que Maribor est la deuxième plus grande ville de Slovénie derrière la capitale Ljubljana avec environ 110 000 habitants. Ce titre a été décerné à Maribor après qu’un avis favorable ait été donné par le Ministère de la Culture Slovène, suite à l’organisation d’un concours national afin de choisir la ville d’accueil du titre, dont 4 villes ont candidaté : Celje, Koper, Ljubljana et Maribor.
Maribor 2012 disposait d’un budget sur 3 ans de 29 millions d’Euros, alors que dans le même temps, Guimarães (autre Capitale Européenne de la Culture cette année-là) au Portugal disposait, elle, d’un budget de 41 millions d’Euros.
Le programme de l’année 2012 à Maribor était articulé autour de 4 piliers : Terminal 12, Town Keys, Urban Forrows et Life Touch.
« Ca n’a pas touché les habitants de Maribor »
Pekarna Magdalenske Mreže est le pendant à Maribor de Metelkova à Ljubljana, cette fameuse caserne désaffectée transformée en squat puis tiers-lieu culturel par divers groupes artistiques. Pekarna est située dans une ancienne boulangerie militaire désaffectée. Ce tiers-lieu culturel a été créé afin d’encourager et soutenir les programmes de coopération entre individus et groupes menant des activités artistiques, culturelles, éducatives, de recherche, écologiques, informatives et humanitaires.
Urska Breznik, directrice de Pekarna nous en dit en plus sur le titre et ce qu’il a apporté à la ville :
« La plupart des personnes employées pour la Capitale Européenne de la Culture à ce moment étaient de Ljubljana. Ils ont importé des personnes de Ljubljana. La plupart du programme de la Capitale Européenne de la Culture était centrée sur la « Haute Culture » et ça n’a pas touché les habitants de Maribor. Seulement les personnes qui vont déjà au théâtre, ou à des évènements élitistes.
Nous avions un résident à Guestroom Maribor à ce moment-là, qui a pris le taxi de la gare jusqu’au centre-ville et a demandé au conducteur « Comment vous sentez-vous maintenant que Maribor est Capitale Européenne de la Culture ? » et le conducteur a répondu « Quoi ? »
Voici la vraie situation de ce titre, ça n’a quasiment rien apporté, et ça n’a quasiment rien laissé. Et ça a énervé beaucoup d’acteurs culturels. D’un autre côté, quand vous avez peu d’argent, à mon avis, vous essayez d’être le plus créatif possible.
À partir de ce moment, je dirais que, à cause de cette folie et de cette déception vis-à-vis de la Capitale Européenne de la Culture, les artistes et les opérateurs culturels voulaient prouver que nous pouvons faire, même sans argent, une très bonne production, et c’est ce que nous faisons !
Grâce à cette expérience, je pense qu’à Maribor aujourd’hui, étant donné que les solutions sont complètement différentes, il existe de nouveaux moyens innovants pour impliquer des publics. Le projet Capitale Européenne de la Culture a vraiment été axé sur les personnes qui sont déjà impliquées dans la culture. Cela me pose un gros problème. D’autant que l’essentiel des activités se sont déroulées dans le centre-ville, pour gentrifier la ville. En conclusion, ça n’a pas touché les habitants.«
« Le grand cirque de l’art et de la culture était ici »
GT22 est depuis 2013 un tiers lieu-culturel, qui abrite des studios et diverses salles pour accueillir des artistes en résidence, un skatepark, un hack-lab, une galerie, un cinéma, un musée de la photographie, un atelier de vélo en bois, un petit théâtre pouvant accueillir 50 spectateurs, une radio, etc… Ce lieu abritait autrefois une usine, un entrepôt ou encore une discothèque. Il a été mis à disposition par la famille Oset-Puppis à l’Institut Fondation Sonda qui gère aujourd’hui les divers espaces sous le nom GT22 (pour son adresse : Glavni trg 22).
Miha Horvat artiste résident et représentant de GT22 :
« Je ne sais pas si quelqu’un t’a expliqué à propos de la capitale de la culture. Les gens de notre âge de Guimarães, qui était la même année Capitale Européenne de la Culture, ils savaient 2 ans avant, en 2010, qu’ils auraient 70 millions d’Euros de l’Europe pour refaire leurs infrastructures (le montant final a été de 21 millions d’Euros donnés par l’Union Européenne), de la part de fonds structurels, afin qu’ils fassent des réparations, construire une nouvelle galerie, etc…
La Slovénie et Maribor ont eu seulement 1,5 million d’Euros de l’Europe (ce qui représente 3% du budget total de Maribor 2012). Il s’agit du Prix Mercouri que toutes les villes obtiennent.
Cette somme est allée dans la programmation. Donc nous n’avons pas rénové, pas une rue, pas un lieu. Les lieux qui étaient ouverts en 2012 avaient été ouverts aussi grâce aux projets que nous avions faits avant. Donc d’une certaine façon, nous avons loupé cette opportunité d’être capitale de la culture, pour obtenir plus de fonds pour les rues, les logements, les infrastructures.
Bien sûr, certaines choses positives sont sorties de 2012, certaines générations, et je pense ma génération a eu une visibilité. GT22 est sortie dans un sens grâce à Maribor 2012, Salon, Vetrinjski dvor qui est une institution publique est sortie après 2012. Grâce à l’énergie que nous avions et puis nous étions concentré sur un objectif. En 2012, il y a eu des shows, des concerts, des performances, des expositions qui ont eu lieu à Maribor cette année-là, qui n’ont jamais eu lieu dans le passé, et n’aurons sûrement jamais lieu à l’avenir. Le grand cirque de l’art et de la culture était ici.«
« Ca a tourné au cauchemar »
Vuk Ćosić, directeur de la communication de Rijeka 2020 et acteur culturel slovène nous explique de son point de vue ce qu’il s’est passé à Maribor et pourquoi cet échec retentissant : « En 2012 à Maribor ils ont eu tout un processus après avoir gagné le titre. Et ce processus était mené par une équipe d’opérateurs culturels de Ljubljana très compétente. Quand ils ont gagné, ils ont commencé à travailler. Mais après un peu moins d’un an, il y a eu des élections locales, gagnées par les opposants.
Ce nouveau maire a licencié toute l’équipe, remplacée par des personnes en qui il avait confiance. Ce qui doit être une prérogative dans une société démocratique j’imagine, mais ça a tourné au cauchemar. Ces gens n’ont pas fait grand-chose pendant 2-3 ans. Ils ont dépensé beaucoup d’argent, et la comptabilité aurait mystérieusement disparu.
Moins d’un an avant le commencement de l’année 2012, l’Etat est intervenu car il était évident que rien n’allait arriver. Et donc une troisième équipe a pris en charge le projet. Ces gens aussi de Ljubljana du monde de la littérature et de l’édition, mais d’une jeune génération, ils font seulement partie de la deuxième génération de ce milieu en Slovénie. Et ces gens l’ont fait ressembler à un grand événement de littérature.
Ils ont fait au mieux. Mais bien sûr, ça n’avait rien à voir avec le concept de Capitale Européenne de la Culture. En plus, à cause des turbulences, les institutions culturelles de la ville ont boycotté la Capitale Européenne de la Culture dans leur propre ville. Et dès que les gens de Ljubljana sont rentrés à la maison, un gros processus de supprimer la Capitale Européenne de la Culture des mémoires a commencé. C’est horrible, parce-que le titre Capitale Européenne de la Culture est une grande opportunité. Ce n’est pas seulement une ville avec des problèmes difficiles de désindustrialisation, similaires à Rijeka, mais ils ont eu une chance et l’ont gâché. Et c’est horrible car ce sont des gens bien. »
Des manifestations contre l’austérité en 2012
En 2012 ont aussi eu lieu des manifestations contre les politiques d’austérité et la corruption à Maribor et dans tout le pays, qui ont abouti à la démission du maire de l’époque : Franc Kangler.
Gal Kirn, professeur et chercheur en science politique slovène nous explique dans son article « Slovenia’s social uprising in the European crisis: Maribor as periphery from 1988 to 2012 » : « Le 26 novembre 2012, plus de 15 000 personnes se sont réunies et ont demandé la démission du maire corrompu et de sa municipalité locale. Tout a commencé pacifiquement et des groupes de citoyens de toutes sortes se rassemblaient. Certains sont venus avec leurs enfants, car c’était censé être un événement culturel. L’événement a été violemment dispersé par la police qui a utilisé des matraques, des quantités excessives de gaz lacrymogènes et d’autres méthodes répressives. Cela a déclenché une réaction violente, avec des groupes de jeunes poussant dans la mairie, brûlant des poubelles et craquant des pétards. »
Ce qui nous montre ici que culture et politique peuvent être liées, même dans les Balkans.
L’objectif de l’UE pour les Capitales Européenne de la Culture est simple, toujours pour Gal Kirn : « Le rêve de la mission de la Capitale Européenne de la Culture est de marchandiser la culture, et de désindustrialiser l’Europe en l’approvisionnant d’industries créatives. Une Capitale Européenne de la Culture favorise le tourisme dans sa région et, surtout, elle travaille à réorganiser le potentiel créatif. Capitale Européenne de la Culture est censé devenir un « catalyseur » majeur de la revitalisation urbaine et la plupart des représentants d’organisations locales interrogés ont confirmé avec enthousiasme cette thèse. »
Gal Kirn toujours pour conclure : « Le projet a échoué à créer des emplois à long terme et à développer des infrastructures culturelles : il y a eu très peu d’infrastructures culturelles à Maribor après la fin de son mandat de Capitale Européenne de la Culture. »
Effectivement, comme nous l’avons vu dans l’article précédent de présentation des Capitales Européennes de la Culture, l’objectif est de régénérer des villes et les réindustrialiser grâce aux industries culturelles et créatives. Ce qui aura été le plus gros échec de Maribor 2012.
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