Fierté et béton – Dans le cadre de la saison France-Roumanie, l’espace d’exposition strasbourgeois La Chambre accueille les photographies du journaliste roumain Petrut Calinescu et de la photographe française Leslie Moquin. L’exposition Roumanie-România propose deux regards croisés sur une société en pleine mutation, et marquée par l’émigration.
Une charrette stationne devant une maison flambant neuve. Sur la photo suivante, deux jeunes mariés en costume traditionnel posent à bord d’une Audi immatriculée en Seine Saint-Denis. Actuellement exposée à La Chambre de Strasbourg dans le cadre de la saison croisée France-Roumanie, la série Pride and Concrete (fierté et béton) de Petrut Calinescu explore la vie d’une communauté du nord de la Roumanie.
Au coeur du Maramures, le village de Certeze est vide l’hiver, on n’y croise que les personnes âgées. Parties travailler à Paris, les familles rentrent l’été pour la saison des mariages. C’est alors l’occasion d’afficher sa réussite (réelle ou prétendue), et de poursuivre la construction des maisons de béton massif qui poussent comme des champignons le long de la chaussée truffée de nids de poule.
“Les habitants de Certeze ont choisi de vivre dans des logements minuscules de la banlieue parisienne pour construire cette maison de rêve au pays”, détaille Petrut Calinescu. “Et le chantier ne s’arrête jamais, car cela signifierait qu’à l’Ouest, on ne réussit plus”. Ces habitations monumentales en perpétuel chantier jurent avec les constructions traditionnelles en bois typiques du nord des Carpates. Personne n’y vit ? Peu importe, elles montrent qu’on a mieux réussi que les autres. “Si la maison du voisin a trois étages, la mienne doit en avoir quatre” affirme un propriétaire.
Maisons vides et bidonvilles surpeuplés
Le pays a perdu 20% de sa population depuis 1989, et vingt-trois Roumains partent pour l’Ouest toutes les heures : c’est, après celui de la Syrie, le taux d’émigration le plus élevé du monde.
Dans ce travail au long cours, le photographe décortique les effets géographiques, économiques mais aussi identitaires de cette migration massive. Le sentiment de n’être ni d’ici ni de là-bas, la distension des liens familiaux, l’exacerbation des traditions : les photographies de la série Pride and Concreteracontent en creux une vie faite de sacrifices.
Petrut Calinescu a photographié les habitants de Certeze dans un bidonville de Paris, ou dans de minuscules studios de banlieue, économisant le moindre euro. Dans un documentaire qui accompagne l’exposition, un d’eux se souvient : “une seule fois en quinze ans, je suis allé boire une bière. Je m’en suis voulu pendant une semaine !”
L’exposition Roumanie-România fait aussi découvrir au visiteur la vie aux marges de la tentaculaire Bucarest et les paysages tant fantasmés de la mythique Transylvanie vus par la photographe Leslie Moquet. Ensemble, ces images brossent un portrait émouvant de la Roumanie d’aujourd’hui, où les immeubles ultra-modernes côtoient les élevages de moutons, où les traditions rurales persistent malgré le départ des habitants, et où les paysages splendides conquièrent immanquablement les voyageurs de passage.
Roumanie-România une exposition de Petrut Calinescu et Leslie Moquin. Jusqu’au 14 avril à La Chambre à Strasbourg. Entrée libre.
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