Centenaire de la Roumanie – Le 1er décembre, la Roumanie célèbre le centenaire de l’union du pays. Un moment historique qui intervient alors que les relations entre Bucarest et l’UE se tendent, et que les critiques envers la politique autoritaire du gouvernement se multiplient.
“Ce Centenaire de la Roumanie aurait pu être bien plus beau”
« Ce Centenaire aurait dû être célébré de façon apaisée. Il aurait pu être bien plus beau ». Sur la place de la Victoire de Bucarest, Cornelia, 57 ans, crie sa colère. « Je suis ici pour que les jeunes ne soient plus obligés de partir, pour mes petits-enfants, pour l’avenir de ce pays que j’aime tant ». Comme des milliers d’autres manifestants, elle a répondu à l’appel au rassemblement de plusieurs associations de défense des libertés civiles.
Dans le froid glacial de ce 1er décembre, ils fêtent le Centenaire de l’Union de la Grande Roumanie à leur manière, en réclamant une Roumanie européenne, sans corruption.
Depuis deux ans, des rassemblements sont régulièrement organisés ici, face au palais du gouvernement. Mais celui de ce soir a une résonance particulière pour beaucoup de manifestants, comme ce père de famille venu de l’est du pays pour l’occasion. « Notre Centenaire est brisé », lâche-t-il amer, un drapeau tricolore à la main. « Il est temps que les Roumains se réveillent. Car vu comme le pays est parti, la vie ici ne va pas s’améliorer ».
Pas si Joyeux Anniversaire
Le Centenaire de la Roumanie, loin d’être ce grand moment d’unité nationale dont beaucoup rêvaient, a mis en lumière les fractures de plus en plus béantes entre le gouvernement et la société civile. Au pouvoir depuis fin 2015, la coalition PSD (Parti Social-Démocrate, Gauche), ALDE (Alliance des Libéraux et des Démocrates, Centre-Droit) est régulièrement critiquée par l’Union Européenne pour ses mesures qui portent atteinte à l’état de droit et à l’indépendance de la justice. Dernier exemple en date, la possible amnistie via une ordonnance d’urgence des personnes condamnées à moins de cinq ans de prison. Le gouvernement justifie ce changement de législation par la surpopulation carcérale. Pour l’opposition, l’ordonnance vise en fait à gracier les membres du PSD condamnés pour corruption.
C’est aussi l’opinion de Margareta. A 76 ans, c’est le 630ème soir de suite qu’elle passe sur la place de la Victoire. « Le problème de ce pays est qu’il est dirigé par des voleurs, s’exclame la retraitée. La Roumanie est remplie de personnes honnêtes, qui travaillent dur, et les gouvernants leur prennent le fruit de leur labeur ! Ils ont détruit ce pays ». A quelques pas d’elle, un jeune manifestant brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « Je célèbre la Roumanie des valeurs de 1918, pas celle des magouilles de 2018 ».
« Des autoroutes, pas des cathédrales »
Le symbole de ces “magouilles” se dresse à quelques kilomètres de là sur la colline de la Métropolie, au cœur de Bucarest. La cathédrale du Salut du Peuple, encore recouverte d’échafaudages, surplombe le palais présidentiel et le Parlement de sa masse. Une fois terminée, ce sera la plus grande église orthodoxe d’Europe. Construite en vue du centenaire de l’Union, elle est censée symboliser l’unité nationale. Elle a été en partie financée par de l’argent public des caisses de l’État et de la mairie de Bucarest, accordé sous forme de dons et de subventions par des hommes politiques qui espèrent ainsi obtenir le soutien de la puissante Église orthodoxe roumaine.
« On construit des églises, et pendant ce temps on n’a ni autoroutes ni hôpitaux », fulmine un manifestant. Le référendum sur la redéfinition de la famille en octobre dernier a aussi fait couler beaucoup d’encre à cause de son coût : 35 millions d’€, prélevés dans le fonds d’urgence destiné aux catastrophes naturelles.
Pendant ce temps, la situation socioéconomique de beaucoup de roumains stagne, voire se dégrade. Les pauvres de Roumanie sont de loin les plus pauvres de l’Union Européenne. Le salaire minimum roumain plafonne à 245€ par mois, et même le salaire moyen ne permet pas de s’assurer un train de vie décent.
« Il faut bien essayer »
La stagnation est aussi politique. La Roumanie, jusqu’à récemment la “bonne élève” de l’Est, l’europhile, celle qui s’était dotée du parquet anticorruption le plus efficace du continent, semble tourner le dos à l’Union Européenne. Le dernier rapport du mécanisme de coopération et de vérification (MCV), auquel doit se soumettre la Roumanie en tant que membre récent de l’Union, a été le plus critiqué depuis l’adhésion du pays en 2007. La Commission Européenne y dénonce notamment les attaques contre l’indépendance du système judiciaire. Frans Timmermans, vice-président de la Commission, a déclaré que « la Roumanie régresse sur le terrain de la lutte anticorruption », et le président Klaus Iohannis a qualifié le gouvernement « d’accident de la démocratie roumaine ».
Sur la place de la Victoire, l’Union Européenne est considérée comme un rempart à la corruption, et les drapeaux étoilés sont nombreux à côtoyer les étendards bleu-jaune-rouge. Marina, 29 ans, en tient un à la main. De l’autre, elle brandit une pancarte sur laquelle elle a inscrit « Je suis Roumanie ». Pour elle, un meilleur futur passe par un changement à la tête de l’État. « Ceux qui sont au pouvoir sont les mêmes depuis la chute du communisme. Il faudrait une nouvelle génération de politiciens, qui ont l’intérêt du pays à cœur ». Dan rêve lui « d’un avenir plus apaisé, où on s’aime plus entre nous ».
En attendant ces jours plus heureux, la nuit est tombée sur la place de la Victoire. Les manifestants se réunissent pour former le drapeau de la Roumanie avec leurs téléphones, et se dispersent peu à peu. Margareta et Cornelia reviendront demain, et les jours suivants. « Aussi longtemps qu’il faudra. Il faut bien essayer de faire quelque chose ».
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