Décryptage des origines de l’amitié qui lie la France et la Pologne depuis les années 1920.
Si les célébrations de l’armistice du 11 novembre 1918 sont symboles de recueillement et d’hommage aux millions de victimes de la Grande Guerre, elles sont aussi cènes d’indépendances et de libertés recouvrées, en témoigne la fête nationale polonaise ayant lieu ce même jour.
Engagée dans les commémorations du centenaire de son indépendance, la Pologne se joint cette année à la France dans son hommage aux combattants disparus en mettant en avant l’amitié indéfectible qui les unit. C’est donc cette amitié et ses causes que nous avons décidé de décrypter aujourd’hui. Car en effet, si le soutien inconditionnel des ministres des affaires étrangères Pichon et Millerand au nouvel Etat polonais peut apparaitre comme une fuite en avant dictée par les craintes d’une résurgence allemande en matière d’influence et l’ombre d’une Russie bolchévique aux intentions que partiellement décryptées au regard de son double jeu diplomatique, elle s’explique néanmoins par un ensemble de motivations politiques et stratégiques auxquelles se mêlent l’histoire et ses échos lointains.
Une dette diplomatique conjuguée à l’ intérêt national
Objet de convoitises territoriales et de concurrences entre les puissances depuis la fin du XVIIIè siècle et l’effondrement de la République des Deux Nations en 1795, la question polonaise demeura un enjeu majeur des questions diplomatiques traditionnelles dont la France fut l’un des principaux acteurs.
Sans vouloir entrer dans les détails des relations franco-polonaises de l’ère moderne, on ne peut oublier les principaux liens ayant unis ces deux puissances. aux ambitions communes, liens à la fois économiques, culturels et politiques.
Dans un Mundis Europae dominé par les princes et leurs affaires personnelles, le rapport entre les puissances est directement incarné en eux. Régnant à travers l’ensemble des territoires européens grâce à leurs liens familiaux et pouvoirs personnels, les souverains contribuent aux rapprochements culturels des nations. Ainsi, bien que court dans sa durée (1573-1575), le règne de Henri III d’Anjou sur la Pologne-Lituanie moderne écrit le chapitre premier d’une relation qualifiée de passionnelle. Certes des émergentes telles la Russie ou la Prusse eurent rapidement plus d’attrait pour la France. Mais de nombreux liens furent tissés de façon durables entre les deux royaumes polonais et français et leurs cours.
La levée de certains régiments polonais en France comme les Hussards ailés ou le lien de parenté entre le roi Louis XV et Stanislas Lezczynski prétendant au trône de Pologne jalonnent cette interdépendance. Ecartée à la toute fin du XVIIIè siècle comme priorité, mais encore présente au sein des élites sociales françaises, la question polonaise renait en France sous le règne de Napoléon Ier. L’attachement de la France peuple polonais est profond car il nourrit les lignes des régiments de la Grande Armée. Aussi la création en 1807 d’un Grand Duché de Varsovie n’est autre que la marque d’une grande amitié franco-polonaise mais si celle-ci se révèle plutôt comme un outil d’expansion et de rayonnement français sur le continent.
Transformée par le concert européen de Vienne en nation dépossédée de son Etat comme résume l’expression « Pologne d’Alfred Jarry » , la Pologne et ce malgré des insurrections successives en 1830 et 1848 reste à la marge des questions diplomatiques de la fin du siècle.
Les relations bilatérales franco-polonaises ne sont qu’une valse hésitation, qu’une série de rapprochements et d’éloignements dictés par les enjeux européens du siècle. Mais sur le fond, l’idée d’octroyer un Etat au peuple polonais et de le soutenir est constante dans la diplomatie française . Herriot exprime de façon claire les choix de la France:
« la Pologne doit enfin redevenir elle même. Nous travaillerons pour que la Pologne soit polonaise et non pas autrichienne, allemande ou même russe. »
Forte de ses idéaux bâtis autour de la liberté des peuples et leur prospérité, en écho avec sa propre histoire, la France de la IIIème République au lendemain de la Grande Guerre se devait donc par tradition et attachement diplomatique de soutenir le Comité National Polonais de Josef Pilsudski.
La recherche des causes profondes de la convergence franco-polonaise, des responsabilités que la France pense avoir vis à vis de la du peuple polonais, doit prendre en compte aussi le fait que la France fut une grande terre d’accueil de réfugiés polonais.
Confrontés tout au long des partages de l’histoire à une différence de traitement de la part des autorités nouvelles, à des vexations sinon une marginalisation, beaucoup de polonais durent quitter le territoire et s’engager dans ce que les historiens appellent la Grande émigration. Ce sont près de 3,6 millions de polonais qui ont quittés leur pays, pour l’essentiel venant des zones contrôlées par les russes, 43% de la Galicie et 4% des territoires sous contrôle prussien de 1850 à 1914.
L’attractivité du Nouveau monde avec le Canada ou les Etats-Unis au départ la plus forte (on pourra mettre en avant le quartier polonais de Jackowo comme noeud de l’immigration polonaise) ,mais dès le début du XXè siècle on assiste une réorganisation des flux: les principaux flux migratoires polonais sont clairement redirigés vers l’Europe Occidentale et notamment la France.
Les saignées dans la population active au cours de la Grande Guerre ont conduit la France à conduire une politique d’immigration dictée par les intérêts des groupes privés autant que par des plans étatiques. Des compagnies minières et municipalités rurales vidées de leurs hommes militèrent pour une immigration massive pour engager la reconstruction la nation. C’est naturellement vers la Pologne que les autorités se tournèrent.
En 1919, les gouvernements français et polonais mettent sur pied une convention pour le travail. Une mission fut envoyée à Varsovie pour gérer les flux de main d’oeuvre nécessaires à la reconstruction. Organisée conjointement par l’Etat et des organismes comme le Comité Central des Houillères de France ou la Confédération des Associations Agricoles des Régions Dévastées, l’émigration polonaise atteint des records. Ainsi en 1920 le Nord-Pas-de-Calais comptait près de 150 000 ressortissants polonais dont 130 000 à Béthune, et l’ensemble du territoire fut concerné..
On est tenté dès lors de se demander si cette population polonaise ne va pas fonctionner comme un groupe de pression pour infléchir les choix et les engagements français. Avec les archives existantes parler de lobbying organisé serait hâtif, mais il paraît logique que l’importance de cette communauté polonaise ait contribué à motiver des décisions politico-économiques et diplomatiques vis à vis du pays d’origine de ces travailleurs.
Consciente du poids des nouvelles communautés polonaises et de leur contribution à l’effort national, nécessairement reconnaissante et loyale envers elles, la France a choisi d’intégrer sinon d’assimiler ces populations immigrées comme le montre Alain Szelong . C’est donc logiquement une motivation supplémentaire pour la France de ménager la Pologne quant à ses ambitions en matière de politique étrangère. La contribution des travailleurs polonais essentiellement à la prospérité des mines est suffisamment stratégique dans l’économie française (l’occupation de la Sarre et de la Ruhr le rappellent) pour qu’en retour la France ait quelques bienveillances vis-à-vis de la Pologne. Le « donnant-donnant » a toujours été une diplomatie, et particulièrement dans une realpolitik un outil de rapprochement des Etats !
La recherche d’une stabilité relative au sein de l’Europe médiane
La Première Guerre mondiale impose aux pays vainqueurs de repenser leur stratégie politique européenne. Le choc de ce conflit est systémique avec l’effondrement des trois Empires (Autriche-Hongrie, Deuxième Reich, Empire Tsariste). L’équilibre de l’Europe congédiée pour certains de l’histoire appelle une refonte des rapports de force et une révision des choix géopolitiques des grandes puissances du XXème siècle. Au-delà de la recomposition très théorique de la « paix européenne » au travers du messianisme wilsonnien, chaque diplomatie doit réviser ses codes. La diplomatie française n’échappe pas à ces mutations.
Fondées sur un système d’alliances bilatérales, reposant sur des blocs multinationaux à même de prendre à revers l’ennemi en cas d’attaque, les relations stratégiques entre les Etats sont reconfigurées par l’irruption dans l’ordre européen de jeunes Etats nations à l’importance variable, cherchant reconnaissance et aide auprès des puissances traditionnelles.
Prenant de nouveau son destin en main le 11 novembre 1918 avant une reconnaissance officielle le 26 juin 1919 lors du Traité de Versailles, la Pologne fait partie de cet ensemble de « petits Etats » dont le sort doit être tranché par la diplomatie internationale et particulièrement la France.
La question polonaise n’est pas une des plus simples au regard de l’histoire et son caractère multiethnique du pays. Dans un premier temps les puissances réunies à Versailles dont la France s’interrogent sur le devenir souhaitable de cette jeune nation aux revendications nombreuse et à la détermination sans limites dans un contexte très mouvant. L’analyse laborieuse débouche tout de même sur des certitudes qui vont baliser les choix.
Le basculement de la Russie vers le bolchévisme apparait progressivement et aux yeux de tous, comme irréversible. Le volontarisme polonais est aussi une donnée incontournable. Dès lors les diplomates français privés de leur principal allié de revers ne peuvent que voir dans la Pologne de Pilsudski un nouveau bloc fort de l’Europe médiane, à même de contenir l’avancée russe.
La Pologne peut même apparaitre comme une opportunité de canaliser les aspirations indépendantistes de certains peuples comme les lituaniens ou les biélorusses. Ceux- ci sont jugés incapables par l’administration française de former et de gérer un quelconque état indépendant. Leur fragilité les rend menant pour la paix dans la mesure où ils peuvent très rapidement basculer dans l’orbite bolchévique.
Ce raisonnement est au centre des préoccupations françaises. L’Angleterre semble privilégier le maintien d’une puissance allemande en vue de contrebalancer les ambitions françaises sur le continent et tenir en respect le bolchévisme et ce conformément à la doctrine du Balance of Powers,. Face à la position britannique, le soutien français à la Pologne va être indéfectible. Le radical Edouard Herriot est sans ambiguïté, il prend acte et soutient le gouvernement polonais dans dans sa lutte pour ses frontières orientales, montrant par là que pour les Français le centre de gravité des enjeux sécuritaires en Europe ne se trouve plus en son centre mais bien à l’est!
Hostile à ménagement d’une Allemagne jugée responsable de la guerre, et portée par une victoire au goût de revanche sur l’ennemi héréditaire, la France du ministre des finances Klotz résumera son intransigeance par la célèbre formule « le boche paiera » . Corollaire de ce choix radical à tous les sens du terme, la Pologne sera le nouvel allié garant de la vision française de la paix sur le Vieux continent.
Un pivot fondamental dans la politique de revanche française sur le Vieux continent
Si la solution de la Pologne comme principal allié oriental en Europe peut apparaitre comme la moins mauvaise des solutions « faute de mieux » après la Révolution russe de novembre 1917 pour la France. Les choix diplomatiques se font souvent dans des dosages subtils, des compromis de dernier recours. Dans le cas de la Pologne, prendre pour la France le parti de ce pays c’est prendre rendez-vous avec l’avenir, obéir à une logique d’expansion hégémonique sur le long terme.
Consacrée principale puissance du continent, la France cherche par là à accroitre son influence tout en diminuant considérablement celle de l’Allemagne dont les réseaux ont été en grande partie épargnés pendant la guerre.
Face à la pluralité des craintes auxquelles elle fait face depuis la fin du premier conflit mondial, la France souhaite donner à la Pologne les outils de ses ambitions militaires et être le levier de ses prétentions territoriales. Livrant des matériels militaires de qualité, la France s’attache également à former par le biais de la Mission Militaire Française l’ensemble des officiers polonais aux méthodes de la guerre moderne encore inconnue à l’Est. Soucieuse de maintenir une alliance efficace avec le régime polonais mais encore prudente vis-à-vis d’un gouvernement qui doit encore faire ses preuves, les autorités françaises n’accordent que graduellement une aide.
Les parcours équivoques de certains officiers au sein des troupes de la Triple Alliance, conduisent par le biais du Second Bureau à dresser une série de fiches d’informations sur ces derniers en vue de juger leur soutien et leurs capacités militaires réelles. Pourtant même prudent, l’engagement français va plus loin qu’un appui logistique. Il s’agit d’un véritable encadrement qui devait optimiser les capacités militaires de la Pologne et garantir une issue favorable à ses prétentions orientales.
Conjuguée aux partenariats tchèques mais aussi roumains, la sécurité européenne de l’immédiat après guerre tente de revêtir petit à petit un uniforme bleu azur.
Favoriser la Pologne sur le plan diplomatique et militaire répondait bien entendu à une volonté d’affaiblir davantage l’Allemagne, continuum d’une politique étrangère française qui pendant la paix de cent ans du XIXème siècle a affronté plusieurs fois la Prusse et le Deuxième Reich.
La naissance d’un nouvel Etat polonais a représenté une nouvelle donne pour l’Allemagne voire une épreuve pour la fragile République de Weimar dans la mesure où son encerclement frontalier devenait une certitude et indirectement renforçait davantage les différentes pressions exercées par la France au lendemain de la guerre.
Ainsi l’ensemble des liens franco-polonais, décrits ci-dessus, sont la matrice du jeu des rapports de force sans laquelle on ne peut pas appréhender les enjeux de l’Entre-deux guerres, le début du second conflit mondial ainsi que notre amitié.
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