Crise Macédoine perspectives – Il y a quelques mois, nous avions eu l’occasion de vous présenter les enjeux des élections parlementaires en Macédoine. Depuis, que s’est-il passé ? Au final, pas grand chose, jusqu’à l’attaque du parlement macédonien la semaine dernière par des manifestants. L’occasion pour nous de revenir sur une crise de plus en plus profonde.
Une élection sans vainqueur
Lorsque nous avions quitté la Macédoine la dernière fois, le pays se préparait à une élection décisive, qui devait apporter une solution à près d’un an d’instabilité politique et de contestation du premier ministre, Gruevski. Ce dernier était en effet accusé de s’être accaparé le pouvoir au nom de son parti, le VMRO DPMNE, le tout sur un fond d’écoutes téléphoniques des principaux acteurs de la vie publique macédonienne, essentiellement de l’opposition.
Les sondages donnaient une quasi-égalité entre le VMRO DPMNE et son principal opposant social-démocrate, le SDSM, dirigé par Zoran Zaev. Les élections de décembre 2016 vont venir confirmer ces prédictions : les deux partis obtiennent une quasi-égalité de voix, aucun ne disposant d’une majorité absolue au parlement.
Gruevski devançant d’une courte tête, il va avoir la tâche, comme le prévoit la Constitution macédonienne, de tenter de former une coalition. Il va alors démarcher les autres partis présents dans ce nouveau parlement, essentiellement les partis albanais, communauté représentant environ 20% de la population du pays et 18% des voix. L’approche va tourner court, les revendications albanaises étant jugées inacceptables par le VMRO DPMNE. Celles-ci prévoient, entre autres, une reconnaissance de l’albanais sur l’ensemble du pays, ainsi que d’autres demandes plus radicales, notamment la reconnaissance d’un “génocide” albanais par les serbes, ainsi que le changement d’hymne et de drapeau.
Un gouvernement sans approbation
Au bout de plusieurs semaines d’impasse, comme le prévoit la constitution, la possibilité est donnée à Zaev de tenter de former un gouvernement. Il finira par réunir une coalition, d’une courte majorité (67 sièges sur les 120 du parlement), en s’alliant avec les partis albanais, sur la base d’une plateforme de revendications allégée, centrée sur les questions linguistiques.
Cette coalition propose un gouvernement au président Ivanov (VMRO DPMNE), qui aurait dû l’accepter. La situation se complique alors que ce dernier refuse le nouveau cabinet, affirmant qu’il constituerait un risque pour l’unité nationale en raison des membres albanais du gouvernement et leurs revendications.
Ce schéma, imprévu par la constitution macédonienne, qui accorde normalement des pouvoirs limités au président de la république, complique encore le schéma politique : malgré le refus du président, le parlement reprend ses sessions qui sont cependant constamment bloquées par l’actions des élus VMRO DPMNE, qui utilisent leur droit de parole pour bloquer les séances.
Ce même parti, en parallèle, organise dans les rues des manifestations quotidiennes afin de soutenir le président. Les revendications prennent une tournure plus radicale, anti-albanaise, en affirmant que l’objectif est d’éviter un éclatement de la Macédoine au profit d’une grande Albanie, tout en accusant les Etats-Unis, l’Union européenne et Soros d’être derrière ce “plan”.
Les manifestations, ponctuées de violences, notamment contre les journalistes, prennent une tournure plus radicale le 27 avril. Alors que le parlement est sur le point d’élire un nouveau porte-parole, Talat Xhaferi (de la communauté albanaise), les manifestants prennent d’assaut le parlement et agressent plusieurs personnes à l’intérieur, notamment Xhaferi et Zaev, dont les visages ensanglantés font la une des médias.
Il faudra plusieurs heures à la police pour reprendre le contrôle du bâtiment, les troupes initialement postées à l’entrée du parlement ayant mollement réagi aux assauts des manifestants, et les unités anti-émeutes ayant tardé à intervenir.
La situation est, depuis, stabilisée. Si l’ensemble des acteurs de la crise, Ivanov et Gruevski inclus, ont condamné l’incident, la crise est désormais encore plus profonde, toutes les solutions ayant conduit à une aggravation du conflit.
La ligne rouge a-t-elle été franchie ?
Les élections, qui auraient dû apaiser les oppositions entre le VMRO DPMNE ont au final débouché sur un blocage encore plus important. La stabilité du nouveau parlement tient en effet à un fil face à une opposition qui joue la carte de la violence, alors que la fracture communautaire réapparaît au grand jour.
Le système politique macédonien, depuis la signature des accords d’Ohrid en 2001, avait la particularité d’intégrer politiquement les Albanais de Macédoine dans le processus démocratique, en leur réservant des sièges au parlement, et en les intégrant dans les gouvernements successifs. Les différents partis politiques albanais du pays avaient donc tout à gagner à jouer le jeu de la démocratie, étant donné que leur poids pouvait compter dans la formation d’une majorité parlementaire dans le pays.
Cette situation, cependant, est désormais remise en question : la virulence du VMRO DPMNE, accusant les Albanais de Macédoine de porter atteinte à l’unité du pays, ainsi que les violences physiques orchestrées au parlement par les manifestants contre les leaders albanais risquent de décourager la communauté de poursuivre sur la voie du dialogue avec le pouvoir central.
Concernant la plateforme de revendications originelle des partis albanais, on peut là aussi se poser des questions sur leur bien fondé, dans la mesure où elles prévoyaient des changements radicaux du fonctionnement du pays, y compris dans les zones du pays où les albanais ne sont pas ou peu présents.
En 1994, un film Macédonien, “Before the Rain”, craignait que la guerre civile finisse par ravager le pays. 23 ans plus tard, il semble que les nuages soient revenus, plus gros…
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