Arte Kino varie savamment les genres dans cette édition 2020, pour notre plus grand bonheur : dans Son of Sofia, Elina Psykou nous dévoile l’étrange réunion d’une mère et de son fils séparés pendant deux ans. Nationalisme grec, peluches et apparitions féériques sont au programme.
Bienvenue à Athènes !
C’est l’été des Jeux Olympiques 2004 à Athènes. Misha, tête blonde maussade de 11 ans, attend ses valises à l’aéroport. Se pressent autour de lui une équipe sportive russe, arborant de superbes joggings rouges floqués du mot « Russia ». Car la Russie à Athènes, c’est bien le point de départ du film : Misha retrouve sa mère, Sofia, après deux ans de séparation. Elle l’attend émue, un immense zèbre en peluche dans les bras.
Après avoir quitté la Russie afin de travailler pour un certain Monsieur Nikos chez qui elle loge, Sofia rayonne de voir son fils la rejoindre enfin. Leurs retrouvailles ne débordent cependant pas d’émotions, annonçant la froideur clinique de la mise en scène de tout le film, point par ailleurs brillant qui est à souligner.

Misha découvre le bel appartement de Monsieur Nikos : à partir de là, Son of Sofia se transforme en un huis clos à l’ambiance oppressante savamment orchestrée. La plupart des scènes se déroulent dans cet appartement au style ancien, chargé des souvenirs de ce vieil homme qu’est Monsieur Nikos. Ce dernier vit enfermé dans le passé, et vit en gentleman conservateur qui a été la vedette d’une émission de télévision pour enfants pendant la dictature. Le film met en scène des flash-backs qui valent le détour où on le voit interpréter des contes de fées, enfilant des costumes pour jouer chaque personnage, puis livrant des analyses critiques et psychanalytiques des histoires, assis dans un fauteuil, tel un Jacques Lacan grec.
Pendant que la Grèce vit le rêve olympique, Misha ne trouve pas ses marques. Sa mère passe la journée à travailler dans une petite fabrique de peluches, ces dernières, toutes plus colorées les unes que les autres donnent au film son côté particulièrement décalé. La relation mystérieuse entretenue entre Sofia et Monsieur Nikos trouble Misha, qui est violemment catapulté dans le monde des adultes.
L’équilibre bourgeois tourné au ridicule
Misha, à peine arrivé chez Monsieur Nikos se voit forcé de porter de petites vareuses d’un autre siècle, se fait emmener par ce vieil homme chez un coiffeur pour en ressortir avec une « splendide » coupe au bol. Encore une fois, la réalisatrice propose une accumulation de situations décalées qui sont brillamment mises en scène : un plan où l’on voit Misha, allongé sur le lit, dans une blouse bleu roi, le regard perdu dans le vide est d’une beauté rare.
Monsieur Nikos ne supporte pas que Sofia et son fils parlent russe : Elina Psykou dénonce avec brio (et colère) la soumission forcée d’une femme à un homme.
Le vieil homme se met alors en tête d’apprendre le grec au petit russe revêche, qui ne comprendra pas un seul mot de ce qu’on lui raconte. Cela donne lieu à des moments quasiment comiques et grotesques, presque attendrissants, le vieil homme se déguisant, tentant de faire comprendre ne serait-ce qu’un seul mot à Misha.
C’est bien la difficulté de s’adapter à une culture qui fonde le propos du film, inadaptation soulignée par le caractère hors du temps de l’appartement dans lequel ère Misha. Son isolement social est accentué par la barrière de la langue.
La plupart des plans sont statiques, Elina Psikou aimant encadrer ses personnages telles de petites figures solitaires au bout de couloirs ou dans l’embrasure des portes, accentuant la solitude de chacun.
Il y a ces scènes de dîner terribles : de part et d’autre d’une immense table, tous mangent en silence, Monsieur Nikos rabroue Sofia qui ne devrait pas manger autant à ses yeux, un silence de mort s’ensuivant alors. La caméra s’éloigne de plus en plus, jusqu’à capter la scène depuis la pièce la plus éloignée de la salle à manger. Nous ne distinguons plus que vaguement ces personnages, esseulées, tenues par le mode de vie strict de Monsieur Nikos.
Coup de cœur véritable pour les scènes de télé magnifiquement filmées par Elina Psykou : face à la caméra, les personnages s’alignent sur une seule rangée, assis sur le canapé et des chaises de chaque côté. Les lumières de la pièce sont éteintes afin que toute l’attention soit concentrée sur ce qu’ils regardent.

Magie réaliste
Tout l’intérêt du film prend effet dans la réaction de Misha face à cette existence qui le blesse chaque jour un peu plus. Il décide de fuir la réalité, comme n’importe quel petit garçon le ferait, dans des versions – parfois obscures – de ses contes de fées préférés. Nous voyons alors Misha déguisé comme le célèbre ours russe du même prénom errer dans les couloirs poussant une à une les portes de l’appartement, laissant apparaître un crocodile dans la baignoire, un zèbre dans le salon ou encore un loup dans la chambre.
Son monde empli de rêve est pourtant lui-même inquiétant, ces séquences se déroulant dans l’obscurité. Basculant dans l’onirisme, le film propose un joli traitement des peurs enfantines.
Telle la chambre secrète dans Barbe Bleue, il y a cette pièce sombre, trésor de costumes, d’accessoires et de déguisements de la vieille série télévisée de Monsieur Nikos. Tout l’appartement semble conçu pour alimenter l’imagination hyperactive d’un enfant piégé et triste face à une réalité sombre et difficile à encaisser.
Saluons par ailleurs tout le travail de décoration du film, soigneusement conçu. Les murs sont couverts de tout un petit arsenal d’armes anciennes, de bibelots en tout genre, d’un arbre généalogique élaboré et peint avec finesse et d’une variété de trophées de chasse. Cela rend les pièces surchargées, témoins de l’attache d’un passé révolu auquel pourtant se rattache le propriétaire de l’appartement.
La précision chirurgicale que l’on retrouve chez le réalisateur grec le plus fameux de cette décennie, Yorgos Lanthimos, semble de mise dans Son of Sofia. Cela serait-il propre au cinéma grec ? En effet, le film sembler coller à l’idée que l’on a du cinéma grec : une étrangeté esthétique, si caractéristique, une photographie léchée, au même titre que la lumière. Nous retrouvons cette même appétence pour la satire sociale, féroce et suffocante. A découvrir d’urgence.
Le film fait partie de la sélection du ArteKino Festival.
Hajde est partenaire média de cet évènement.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.