Partons à la découverte de ce duo iconique : Melina Mercouri et Jules Dassin !
Jamais le dimanche. 1960. Homer Thrace, un touriste américain pseudo-intellectuel incarné par Jules Dassin, croise la belle Ilya dans un bar du Pirée. La prostituée, ivre de liberté et de plaisirs simples, devient l’objet de toutes les attentions d’Homer.
Ce dernier, qui était venu en Grèce pour essayer de comprendre pourquoi la Grèce était tombé de son piédestal de l’époque des Aristote et Platon, finit par changer de mission : il veut prouver à Ilya, incarnée par Melina Mercouri, que les jeux de l’esprit peuvent être aussi plaisants que les joies frivoles du corps. Un défi compliqué pour le personnage de Jules Dassin.
Mais ce film nous offre surtout la première union à l’écran d’un couple en devenir, celui formé par l’Américain Jules Dassin et la Grecque Melina Mercouri. Un duo qui s’efforcera pendant une quarantaine d’années de défendre et promouvoir une certaine idée de la Grèce que ce soit via les arts ou la politique.
Les deux artistes se rencontrèrent pour la première fois à Cannes en 1955. Jules Dassin est en compétition au festival avec son film Du Rififi chez les Hommes pour lequel il remporte le prix de la mise en scène, notamment grâce à cette mémorable scène de braquage d’une bijouterie. Mais plus qu’une statuette, ce festival lui permet de découvrir Melina Mercouri, star du film Stella.
Lors de la projection de ce film, Dassin entrevoit la femme libre qui deviendra sa muse et sa compagne. Mercouri y interprète le rôle principal, celui de Stella jeune chanteuse de rébetiko, éprise de liberté et peu encline à se laisser enfermer dans le carcan du mariage.
A l’époque, Jules Dassin exerce son métier de réalisateur en Europe, après avoir été contraint de fuir Hollywood et les Etats-Unis. Il fait partie de la fameuse blacklist d’Hollywood à cause de sa sympathie présumée pour le communisme (voir l’excellent Trumbo à ce sujet). Cependant, le père de Joe (né d’un premier mariage) débarque en France avec un CV calibré où le film les Démons de la Liberté avec Burt Lancaster lui ouvre de nombreuses portes. C’est ainsi que Dassin fut choisi pour réaliser Rififi et se retrouva en 1955 à Cannes.
De son côté, le rôle de Stella est le premier grand rôle de la carrière de Mercouri, à 35 ans. Mais la jeune Grecque n’est pas une inconnue du public grec ; en effet, elle est la petite-fille de Spyridon Merkouris, très populaire maire d’Athènes au début du XXè siècle et dans les années 1930.
Jamais le dimanche
L’histoire entre Ilya et Homer Thrace permet donc au couple de créer une œuvre commune. Au-delà de l’histoire d’amour, ce film donne surtout la sensation d’une passion certaine pour la Grèce et sa culture. Dassin vit alors en Grèce et ce film offre de longs plans dédiés à la vie quotidienne, au rébetiko, à la danse et aux décors de Jamais le Dimanche : le port du Pirée et Athènes.
Dans ce Pirée où les hommes sont les acteurs principaux – les seules femmes du film sont quasiment toutes des prostituées, Ilya dénote et impressionne. Elle est celle qu’on voit, seule au milieu de quinze hommes, celle que les hommes écoutent fredonner ou raconter des histoires, celle que les hommes convoitent tous avec respect. L’objet de tous les désirs et l’épicentre de toutes les histoires.
Grâce à cette performance remarquée, l’équipe du film s’offre une nouvelle virée cannoise où Melina Mercouri remporte le prix d’interprétation féminine. La fête après la projection du film reste dans la légende du festival, la rumeur raconte une nuit interminable, des danses grecques qui ne s’arrêtent plus, de la nourriture à foison et de la vaisselle cassée à la mode grecque.
Dans les années qui suivent, Dassin met à nouveau en scène Mercouri, notamment dans Topkapi et Phaedra. En 1966, le succès international de leurs films offre de nouvelles perspectives au couple, ils partent à New York pour jouer une adaptation théâtrale de Jamais le Dimanche à Broadway.
La dictature des colonels
Cependant, Mercouri est vite rattrapée par des événements qui se produisent dans son pays. Le 21 avril 1967, des colonels de l’armée fomentent et réussissent un coup d’Etat. La dictature militaire est née, elle va durer 7 ans. Melina Mercouri fait connaître son aversion pour le nouveau pouvoir en place, qui lui rend bien en lui ôtant sa citoyenneté grecque. Mercouri devient alors une des figures du combat contre les colonels avec cette fameuse phrase : « Je suis née grecque, je mourrai grecque. »
Mercouri délaisse peu à peu la scène pour se consacrer à plein temps à la lutte en essayant de créer un élan de solidarité parmi la diaspora grecque et au sein du milieu artistique international. En décembre 1968, interrogée par l’ORTF, elle déclare : « Je dois dire que ma carrière ne m’intéresse pas tellement. Je travaille, je suis une professionnelle, j’ai adoré ce métier pendant de longues, longues années, et mon rêve, c’était devenir une grande actrice. Mon rêve ne s’est pas réalisé, je suis une bonne professionnelle je crois.
Mais dans ces deux dernières années, se sont passées dans ma vie, et dans le monde entier, des choses qui m’ont intéressé plus, qui m’ont fait me réveiller, qui m’ont fait devenir moins actrice et moins claustrophobe. C’est-à-dire moins égocentrique. J’ai pensé au monde, j’ai pensé à ce qui arrive dans des pays. J’ai pensé, j’ai vu la jeunesse et leurs problèmes, et enfin, il y a eu dans ces années que j’ai perdu la chose que j’aimais le plus, c’est-à-dire mon pays. »
Le temps est long pour Mercouri loin de sa terre et des siens. Elle participe autant que possible à la médiatisation des événements grecs à travers le monde, Dassin reste à ses côtés et l’aide comme il peut, notamment en mettant en scène le relativement médiocre film The Rehearsal qui traite du sujet de la lutte à distance contre la junte militaire.
Le retour au pays natal
Heureusement, en 1974, la junte tombe et Mercouri peut rentrer au pays où son retour est célébré par une foule importante. Elle délaisse alors complètement son métier d’actrice pour devenir femme politique à plein temps. Elle participe à la création d’un parti politique, devient membre du Parlement grec puis ministre de la Culture en 1981.
En tant que ministre, elle fera bon usage de son aura d’ancienne actrice pour participer à la promotion de son pays au-delà des frontières. Son mandat de ministre sera chargé de promesses et surtout d’actes, elle participe à la création de la Capitale Européenne de la Culture et aussi du fonds Eurimages qui soutient la création cinématographique en Europe.
Cependant son champ de bataille particulier et personnel concerne l’héritage grec. Elle développe l’accès aux musées pour la population grecque et finance de nombreuses expositions promouvant la culture grecque à l’étranger. Et surtout, elle se bat pour le retour des marbres du Parthénon en Grèce. Un combat de longue haleine.
L’Acropole et les marbres, une bataille posthume
En 1801, Lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople, entreprend de faire des dessins et moulages de marbres du Parthénon. Ce travail fastidieux débouche, dans des circonstances contestées, sur le départ de nombreuses sculptures et frises de marbre vers Londres.
Depuis, ces morceaux du Parthénon sont disposés dans des musées britanniques. Mercouri s’est longtemps battue pour acter le rapatriement de ces pièces hautement symboliques de l’héritage grec et a fait son possible pour rallier le plus de personnalités et de gouvernements à son combat.
En 1986, elle participa notamment à un fameux débat de l’Oxford Union Society dont le sujet était le rapatriement des marbres du Parthénon. Son réquisitoire se termina par : « Vous devez comprendre ce que les marbres du Parthénon représentent pour nous. Ils sont notre fierté. Ils sont nos sacrifices. Ils sont notre symbole le plus noble d’excellence. Ils sont un hommage à la philosophie de la démocratie. Ils sont nos aspirations et notre nom. Ils sont l’essence de la Grécité. (…)
Nous disons au gouvernement britannique : vous avez conservé ces scupltures pendant quasiment deux siècles. Vous en avez pris soin du mieux possible, et nous vous en remercions. Mais maintenant au nom de la justice et de la moralité, rendez-les nous s’il vous plait. Je crois sincèrement qu’un tel geste de la Grande-Bretagne honorerait même votre nom. Merci. »
A ce jour, les marbres du Parthénon sont toujours en Angleterre mais un des projets de Mercouri est sorti de terre après sa mort en 1994. Cette concrétisation, elle la doit grandement à Jules Dassin, resté dans l’ombre pendant de longues années et ayant même délaissé le cinéma au début des années 1980.
En effet, le dernier grand chantier lancé par Mercouri en tant que ministre de la culture fut la création du nouveau musée de l’Acropole, un écrin à la hauteur des kouros, sculptures et autres pièces qui constituent la mémoire et l’héritage du peuple grec. Jules Dassin mourut en 2008, quelques mois avant l’inauguration de ce musée mais la fondation Melina Mercouri, qu’il a créé, lui survit et continue leur combat commun pour le rapatriement des marbres du Parthénon.
Pendant 40 ans, via le cinéma dans un premier temps puis la politique, le couple formé par Melina Mercouri et Jules Dassin a célébré une certaine idée de la Grèce et de sa culture, d’un pays où la danse, la musique et les arts font partie de la vie quotidienne.
Pour aider sa femme à développer une politique culturelle en Grèce, Dassin s’est contenté de vivre dans l’ombre tel un second rôle permettant à l’actrice principale de briller. Une belle preuve d’amour. Et le jour où les marbres du Parthénon viendront garnir le musée de l’Acropole, nul doute que nombre de Grecs auront une pensée pour ce couple mythique.
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