Littérature de l’Est – Durant les prochaines semaines, Hajde part à la découverte de la littérature de l’Est. Notre chroniqueuse Léa va en effet nous présenter ses coups de coeur d’auteurs d’Europe Centrale et Orientale, des oeuvres connues, mais aussi certaines beaucoup moins.
Pour commencer notre voyage littéraire, posons-nous donc aujourd’hui une question fondamentale : qu’est que la littérature de l’Est ?
D’abord, vouloir écrire des petites chroniques sur la littérature d’Europe de l’Est. Ensuite, se demander si cela veut dire quelque chose, Littérature d’Europe de l’Est. Ce sont des livres et ils ont le point commun d’avoir été écrit par des auteurs nés dans cet ailleurs. Européens comme moi mais derrière une ligne qui les qualifie d’orientaux dans les analyses littéraires.
L’Europe de l’est et centrale -balkanique, russe, baltique…- est une réalité complexe. Résumer ainsi toute une pléiade d’auteurs à leur simple ancrage géographique, est-ce que ce n’est pas les réduire, adopter un bon prisme d’européenne occidentale ? Pourquoi alors ai-je toujours défendu une passion dévorante pour la « littérature de l’Est » si elle se résume à un conglomérat sur une carte ?
La littérature du tiraillement perpétuel
Peut-être parce que comme le défend la critique littéraire Elif Batuman la littérature de l’Est, ça existe. Elle va plus loin, en la décrivant comme l’antidote à l’écriture formatée et nombriliste occidentale de ses dernières décennies. Pour elle, si les courants littéraires, les mouvements et les genres diffèrent autant que partout ailleurs, le dénominateur commun des auteurs de l’Est est de s’attaquer de front aux problèmes de la condition humaine.
Et ils le font en sondant les passions avec une intransigeance qui ne s’embarrasse pas de petite morale. Si cette analyse peut paraître un peu alambiquée, elle fait néanmoins sens. Andrzej Stasiuk, écrivain et journaliste polonais, évoque la même idée dans son essai L’Est. On peut reconnaître une littérature de l’Est entre le milieu du XIX siècle à nos jours et c’est la littérature du tiraillement perpétuel.
De l’absolu idéal à la désillusion
Marquées par l’impérialisme russe et austro-hongrois puis par le communisme, théâtre des champs de batailles de la seconde guerre mondiale, spectre de Tchernobyl, flou ethnique et langagier, ces sociétés croient à l’utopie tout en étant bien trop consciente de son pendant totalitaire. Violence politique, institutionnelle et violence à visage humain, bien humain, dans la délation, la terreur, dans le nationalisme sanglant, la perte d’identité, de frontières, de repères.
Pour Velichka Ivanova, chercheure franco-bulgare, être un auteur de l’Est c’est être passé de « [l’absolu] idéal à la désillusion. » Les auteurs de l’Est ont éprouvé personnellement l’histoire de leur pays et le chaos humain qui en résulte. Il y a un engagement de soi dans leurs écrits qui se refuse à tout pathos. Car ce sont également des auteurs et des œuvres marqués par le glas de la censure.
Pour Siniavsky, auteur et dissident russe, survivant du Goulag, la censure dans les pays du bloc soviétique ne s’exprimait pas que sur le contenu. Elle s’exprimait également sur la forme. Il ne fallait pas être « bourgeois », seul le réalisme classique était toléré. Voilà une des raisons de ce rejet du pathos et de cet amour pour l’ironie chez les auteurs de l’Est.
Voilà aussi pourquoi beaucoup d’entre eux –comme nous le verrons dans les chroniques- rejettent le réalisme et laissent une forme de merveilleux envahir leur récit. Une manière ainsi de questionner les certitudes, de laisser revenir le doute dans la vie, de tordre le cadre.
Voilà pourquoi cette envie de chroniquer sur la littérature de l’Est, en dehors d’un fragment géographique. Une envie de partager une littérature qui pousse comme le disait Rainer Maria Rilke, poète autrichien à « […] ne vivre pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement, en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. »