L’harmoniciste croate Tomislav Goluban, surnommé « Little Pigeon » (Goluban signifiant « pigeon » en croate), fait partie des plus doués de sa génération. Il explore depuis plus de vingt ans le blues sous toutes ses formes, en allant notamment enregistrer aux USA pour nourrir ses inspirations dans les villes emblématiques du blues (nous vous en avions parlé récemment).
Son tout nouvel album, « Express Connection », enregistré à Memphis, sortira le 16 avril.
Il a accepté de répondre à nos questions à l’occasion de la sortie de ce douzième album, et aborde pour nous cette aventure musicale et humaine extraordinaire, ses inspirations, mais aussi le blues croate d’aujourd’hui...
Comment as tu découvert cette musique et les maîtres de l’harmonica ?
J’ai toujours été un énorme fan de musique en générale. J’écoutais déjà les vieux disques de mes parents quand j’avais 5 ou 6 ans. Ensuite j’ai découvert le son Hi Fi et je dépensais tout mon argent dans du matériel audio et en musique (cassettes, vinyles et cds). Mes amis connaissaient ma passion pour la musique et m’ont donné des disques à écouter. Le jour où Sonny Terry s’est retrouvé sur ma platine cela a complètement changé ma vie !
Cette découverte de Sonny Terry a donc été le point de départ de ton apprentissage de l’harmonica et de ton exploration du blues ?
Oui, Sonny Terry a été la principale raison pour laquelle j’ai commencé à jouer de l’harmonica. Après plusieurs années à l’écouter, lui et d’autres bien sûr, j’ai décidé de m’acheter mon harmonica. C’était un Hohner Blues. Au moment où je me suis mis à écouter Sonny Terry, je ne connaissais pas grand chose au blues, mais j’y entendais des imitations de trains, de renards, de chiens… c’était juste magique pour moi.
Peux tu nous raconter l’anecdote qui a donné son nom à ce nouvel album ? Une histoire d’aéroports il me semble !
Le titre a été inspiré par la vitesse, la course contre le temps, l’impatience et le temps qui passe. Quand je me suis rendu aux USA pour enregistrer l’album j’ai raté plusieurs vols. En fait, en raison d’une erreur de la compagnie, j’ai atterri à Memphis juste quelques heures avant le début de la session studio. A l’aéroport, le service « Express connection » fut vraiment excellent et m’a vraiment aidé. Cela a donc été une inspiration là sur le moment.
Après l’enregistrement du disque, je suis revenu avec une idée de vidéo pour ce morceau. Ces deux minutes d’adrénaline ont été imagées par de grands athlètes qui se sont illustrés au niveau européen, mondial et olympique dans différentes disciplines.
Pour enregistrer « Express Connection » tu es retourné dans les célèbres studios Ardent à Memphis, Tennessee. Ce douzième album sonne plus puissant que le précédent, avec cette section de cuivre épique et ces choeurs : Est ce que « Express Connection » est une continuité de « Memphis Light » ?
L’histoire de « Express Connection » est liée à celle de « Memphis Light ». En fait, plusieurs des morceaux ont été enregistrés durant la session studio de Memphis Light. Les musiciens sont les mêmes, avec des invités et une section de cuivres en plus. Je voulais intégrer quelque chose de différent et mon producteur, Jeff Jensen, est arrivé avec cette bonne idée d’ajouter des cuivres.
Tes trois derniers albums ont été enregistrés dans des villes emblématiques du blues, Chicago et Memphis. Que retiens tu de ces différentes expériences ?
Mon quatrième album avait aussi été enregistré à Memphis en 2009, aux légendaires studios Sun. Après cette expérience, mon objectif était de revenir pour de futurs projets. Quand les choses sérieuses ont commencé à Chicago avec les directives de mon producteur Eric Noden, cela m’a confirmé que les Etats Unis seraient de nouveau ma prochaine expérience studio.
Si tu sais exactement ce que tu veux faire en studio, tu dois avoir les bons musiciens pour y parvenir. Je pense que j’ai eu les meilleurs musiciens pour mes trois derniers albums et je leur suis très reconnaissant pour leur énorme inspiration et soutien. Pour être honnête, quand j’étais en studio à Chicago, je n’avais que très peu d’expérience sur la façon dont les américains enregistrent des disques, mais ils m’ont dit que j’ai été un bon élève et que j’apprenais vite.
Cela n’a pas été trop difficile car je savais à quoi m’attendre, mais c’est aussi important en studio d’avoir le meilleur rapport qualité/prix. Tu dois être très précis pour que les autres musiciens puissent suivre tes idées. J’enregistrais ma propre musique donc cela était facile pour moi. Mais il y a toujours la barrière de la langue pour les musiciens non américains qui veulent sonner authentiques. J’ai donc essayé d’être patient pour trouver mes marques dans ce que j’appelle le « Pigeon english » !
Chaque album est une vraie expérience sur les traces des racines du blues. Quelles sont les histoires que tu voulais raconter avec ces albums américains ?
Honnêtement je n’avais pas cela en tête. Je voulais juste prendre du plaisir en studio et faire de mon mieux. Je pense que c’est plus facile quand tu enregistres tes propres compositions car tu as la liberté de développer ton propre son et pas d’essayer de reproduire l’âge d’or du blues lorsque toutes les légendes étaient encore dans le circuit. C’était une époque différente avec une approche musicale différente, et je considère cela comme une science, et je ne possède pas encore la connaissance pour l’imiter. J’ai donc suivi ma propre voix avec mes propres histoires, et je suis complètement satisfait du résultat.
Peux tu nous parler de tes inspirations musicales ?
Quand j’écris un morceau je m’inspire d’aventures et d’expériences qui me sont arrivées, à moi ou des amis. Du côté musical, le colossal répertoire blues est une inspiration… et une énorme richesse inépuisable.
Pourquoi ce choix de reprendre « Pale Blue Eyes » du Velvet Underground dans cet album ?
Velvet Underground et Lou Reed ont eu un énorme impact sur ma culture musicale quand j’étais jeune, lorsque je ne connaissais pas grand chose au blues. « Pale Blue Eyes » est une magnifique mélodie, simple et claire, que j’ai voulu essayer en studio. Quand Rick Steff l’a entendue il a porté ses claviers avec un tel enthousiasme que j’ai tout de suite su que ce serait le moment clé de l’album. Mais une version de 8 minutes et demi ne faisait pas partie du plan de départ ! Tout s’est joué directement ici dans le studio Ardent.
Travailles tu sur une tournée européenne pour promouvoir cet album ? Des dates en France peut être ?
La situation actuelle avec le Covid est étrange. Les choses peuvent changer en un jour du coup on ne peut rien prévoir. J’ai joué plusieurs fois en France mais c’était il y a dix ans au moins. Je serais très heureux d’y retourner jouer. Il y a un vivier d’excellents festivals et des clubs légendaires. De plus, les fans français de blues sont profondément attachés à cette musique, ce qui est très inspirant.
As tu déjà en tête ton prochain voyage aux USA ?
Evidemment, j’ai envie de continuer sur les traces des racines du blues car tout le monde autour de moi aime ça. (Mais) le Covid a ruiné les plans car les USA étaient encore mon objectif…
En même temps, dans mon propre pays j’ai davantage de succès avec mes albums dans ma langue natale, donc la combinaison des deux est le mieux. Je suis un musicien professionnel, je dois donc tout faire pour être écouté sur les deux marchés, national et international.
Que peux tu dire aux lecteurs qui te ne connaissent pas, pour les convaincre d’écouter ton nouvel album ?
Je n’essaierais pas de convaincre quiconque la dessus. La musique est une chose subjective, c’est un art. Celle que l’un peut aimer, l’autre peut la détester. Donc donnez une chance à un album, écoutez le une fois du début à la fin. Si vous l’aimez dites le moi, je pourrais vous donner des conseils pour trouver des choses similaires qui rendront votre vie plus riche.
Parlons un peu de tes premiers albums, notamment « Kaj Blues Etno » (2016) et « Zagorje Blues » (2009), dans lesquels tu as créé ton propre style, le Zagorje blues, en référence à ta région d’origine.
La région du Zagorje est située dans le nord de la Croatie, c’est là où je vis. Au début de ma carrière j’ai eu l’idée de combiner Zagorje et Blues. Cela m’a apporté un bon succès, beaucoup de belles collaborations avec des musiciens croates, et quelques prestigieuses récompenses. J’ai essayé d’apporter des éléments du blues dans d’anciennes chansons traditionnelles croates, et en particulier issues de ma région de Zagorje. Et cela a bien été reçu à la fois par les fans et les médias.
Comment se porte la scène blues croate actuelle ? Comment pourrait tu expliquer que beaucoup de très bons artistes croates soient davantage connus et reconnus à l’étranger que dans leur propre pays ?
Je ne sais pas vraiment pourquoi c’est comme ça, mais je me souviendrai toujours des mots de Jerry Ricks. Quand je l’ai conduis à notre concert (qui fût son dernier concert), il m’a dit : « Pigeon, tu joues une fois par an dans ta ville natale. Le plus dur est à la maison ». Il avait tellement raison. Tu ne peux pas lire ce genre de conseils de bluesmens dans un livre, tu l’apprends en tournée. Et oui, je les prends et cela m’aide à comprendre les mystères du business de la musique.
La chose la plus étrange, c’est que mes compatriotes aiment vraiment quand je gagne du succès dans d’autres pays. Ils sont de vrais soutiens et aiment ce que je fais, mais si je me reposais uniquement sur mes fans croates je ne pourrais pas survivre.
Si je compare la scène blues croate avec celles d’autres pays, je vois beaucoup de potentiel pour promouvoir davantage le blues sur la scène locale. Nous n’avons pas une grande tradition blues, mais je suis sûr que le meilleur est à venir. Cela devient de plus en plus grand et fort de jour en jour, en tout cas avant la crise sanitaire. Nous avons quelques bons festivals de blues avec une offre touristique intéressante développée en collaboration avec les organisateurs.
Je pense que la Croatie est promise a un bel avenir avec le blues croate.
Comme de nombreux artistes des Balkans, tu as participé à plusieurs reprises au prestigieux International Blues Challenge à Memphis. En 2022 c’est le Edi East Trance Blues et leur style original qui représentera la Croatie.
Edi est un musicien qui a une très grande expérience et une vraie énergie. Je pense qu’il n’a pas besoin d’instrument, il a simplement besoin de monter sur scène pour que tout le monde soit impressionné avec son groupe. Il sera un excellent représentant de notre scène blues et je leur souhaite le meilleur.
J’espère vraiment que le prochain International Blues Challenge en janvier 2022 aura bien lieu, et que notre belle planète sera revenue à la normale. IBC est un fantastique outil de networking et de promotion.
L’un de mes points de départ a été la Blues Foundation (organisatrice du International Blues Challenge, ndlr), et la sagesse de Jay Sieleman qui m’a invité pour la première fois, c’était en 2009. Après cela, quand j’ai été président de la Croatian Blues Forces, la scène était riche, tout fonctionnait bien et grandissait au fur et à mesure.
Edi East Trance Blues est la preuve que notre travail acharné a eu de l’effet puisque la Croatie continue d’avoir des représentants lors de l’International Blues Challenge (avec également Bok Blues dans la catégorie duo).
Tu as également développé un programme éducatif dans les écoles depuis quelques années. En quoi consiste t il ?
Vers 2003 j’ai lancé mon programme « L’harmonica blues », qui est une sorte de « Blues à l’école ». L’objectif est d’éduquer les élèves sur l’essor de la musique populaire de 1900 à 1960. J’utilise mes harmonicas pour illustrer la théorie. J’ai été déçu de n’apprendre et comprendre le blues que tardivement dans ma vie, au milieu de la vingtaine. J’ai donc voulu faire quelque chose pour que ces jeunes, peut être de futurs musiciens ou simples fans, puissent apprendre les bases de la culture afro américaine. Le projet a grandi et je le conduis désormais au niveau national en coopération avec le Ministère de la Culture et des Médias.
Quelle est la situation des artistes actuellement en Croatie au regard de la crise sanitaire que nous traversons ? Y a t il des perspectives de réouverture des lieux culturels ?
Tout est en suspens, aucune perspective pour le moment. La situation est terrible pour les musiciens professionnels. Personne ne peut imaginer une telle chose. Notre seule arme pour le moment est l’activité en virtuel.
Le gouvernement croate soutient il les artistes et lieux de culture pour faire face à cette crise ?
Il a mis en place différentes subventions et programmes pour les activités digitales et c’est vraiment bien. Il reste actif sur ce point. Mais les lieux sont toujours fermés.
Pour terminer : si je te dis Hajde, à quoi cela te fait il penser ?
Let’s go ! Move on ! Keep on !
Vous pouvez précommander « Express Connection » sur ce lien
Découvrez la discographie de Tomislav Goluban sur Deezer
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