Le cinéma ne cessera jamais de nous étonner et de nous retourner le cerveau. Comment ne pas être surpris par un film qui nous raconte trois fois la même histoire mais de trois manières totalement différentes ? Full Contact, le sixième film du réalisateur néerlandais David Verbeek – en co-production avec une équipe croate – explore avec intelligence les manifestations d’un stress post-traumatique. L’édition 2020 d’Arte Kino brille décidément par son éclectisme !
Full Contact
Le film s’ouvre sur une immensité désertique aux tons si blancs qu’ils tranchent avec le bleu azur d’un ciel sans nuage. Ce décor quasiment lunaire n’est pas sans rappeler l’excellent Beau Travail de Claire Denis. Ironie du sort : Grégoire Colin, l’acteur principal du film de Claire Denis est également la figure majeure de Full Contact.
Il interprète Ivan, pilote de drone français, dans le contexte de la présence militaire américaine au Moyen-Orient, en l’occurrence l’Afghanistan. Il agit à distance, dissimulé dans un bunker, traquant les terroristes à abattre, sans vraiment se poser de questions. Lorsque sa victime se trouve dans son viseur, il actionne un bouton : un « bip » retentit trois fois, suivi d’un « contact » annoncé par son système de guidage. Ces scènes sont récurrentes, accentuant le côté machinale et irréfléchie de son action.
Son existence bascule cependant, le jour où il bombarde accidentellement une école : alors qu’il s’apprête à viser, il s’arrête, pensant avoir vu un enfant. Il hésite un instant et tire. Il aurait en effet dû renoncer. Son entraînement militaire qui l’a poussé à ne jamais se poser de question lui joue un terrible tour.
Le film suit alors Ivan, qui tente désespérément de trouver un nouveau sens à sa vie et tente de montrer ce qui se passe dans l’esprit de quelqu’un qui fait face au stress post-traumatique d’une manière relativement originale en racontant la même histoire trois fois, dans des lieux différents, mais face aux mêmes personnages qui réapparaissent dans des rôles différents. Chaque version de son traumatisme est symbolisée par la répétition sonore de ce « bip » suivi du « contact » qui a rythmé durant des années son existence. Avec ce mécanisme, David Verbeek accentue avec force le syndrome post traumatique vécu par son personnage.
Une exploration des mécaniques du stress post-traumatique
La première version de sa réaction est la plus crue : Ivan écume un bar à strip-tease. Le film bascule dans une ambiance particulièrement malsaine aux couleurs violettes des néons sous lesquels se déhanchent des jeunes femmes autour de barres de pole dance. Difficile de ne pas penser ici au cinéma de Paul Verhoeven.
Ivan se retrouve à courtiser de manière assez étrange « Cendrillon » (jouée par la sublime Lizzie Brocheré), une des strip-teaseuse, dans un café miteux, en lui offrant un café et un muffin. Pour le romantisme, nous repasserons. Cette scène traduit cependant le désespoir qui a envahi Ivan, qui tente de se raccrocher à ce qu’il peut.
Plus le film avance, plus nous nous trouvons plongés dans le monde intérieur d’Ivan. À l’improviste (de manière littérale, puisqu’il sort nu de la mer), nous le retrouvons sur une île apparemment déserte, à nouveau seul, car il est en train (selon ses propres mots) de «renaître». Tel un Robinson Crusoé des temps modernes, Ivan tente de survivre à la chaleur insulaire, se nourrit de crabes qu’il ne digère pas et rencontre un chien qui se met à l’accompagner par monts et par vaux. Ce chien brise partiellement sa solitude, incarnation animale de Cendrillon, qui lui tenait compagnie dans la première version de son existence.
La folie le guette chaque jour un peu plus, commençant à voir partout autour de lui un terroriste de haut rang qu’il traquait à l’époque. Il serait dommage de vous dévoiler les tenants et aboutissants de cette deuxième partie toute singulière…Cette partie frôle un cinéma d’un genre plus onirique.
Un troisième et dernier sursaut temporel plonge Ivan dans une école française de free-fight, dirigée par l’homme qui incarnait le terroriste de la seconde temporalité. Vous suivez toujours ? Ivan travaille dans un département des objets trouvés d’un aéroport, où il est associé à Cindy, une mère célibataire, incarnée à nouveau par Lizzie Brocheré. Plus saine, leur relation semble enfin prête à éclore.
Tue et tais-toi !
La structure répétitive du protagoniste se retrouvant sans cesse face aux mêmes personnages dépasse le simple dispositif narratif. Cela montre comment Ivan fait face au traumatisme d’avoir tué par inadvertance des innocents. Il éprouve la nécessité de passer et repasser les évènements dans sa tête, réinventer des versions différentes, jusqu’à ce qu’il en trouve une qui lui fasse éprouver un sentiment de paix. La troisième histoire, plus calme et douce que les deux premières nous laisse penser qu’il y parviendra prochainement et qu’il est sur la voie de la guérison. Le film a beau ne pas toujours être très subtil dans ses symboliques, le scénario semble justifier ce choix de la part du réalisateur.
La structure narrative pousse le spectateur à prendre part de manière très intense au film, empêchant le film de devenir trop nébuleux. Le film se concentre principalement sur les aspects psychologiques du métier de pilote de drone, laissant le public se charger des implications politiques et morales qui apparaissent en filigranes.
Le travail réalisé autour de la désensibilisation de ces hommes qui tuent est particulièrement intelligent. Formidable exercice de style pour David Verbeek qui s’amuse à varier les genres au rythme de ses trames narratives, Full Contact est probablement l’œuvre la plus singulière de la sélection d’Arte Kino cette année.
Le film fait partie de la sélection du ArteKino Festival.
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