Découvrez notre critique du livre de la poète, traductrice et autrice Bosnienne Suada Tozo Waldmann : « Le Requin de Dubrovnik » !
- Papa, si tu es musulman et si maman est catholique, de quelle religion suis-je alors?
- Je n’y ai jamais sérieusement réfléchi.

Le requin de Dubrovnik est un roman très bref, qui se lit en moins d’une heure, et se destine plus particulièrement aux adolescents.
L’histoire se situe entre deux temporalités. Au lendemain des attentats du 11 septembre, Latifa, jeune croate issue d’un couple mixte dont le père est d’ascendance culturelle musulmane, se retrouve moquée par ses camarades de classe qui l’affublent du surnom de “Latifa Ben Laden”. Un surnom dont elle ne peut rien faire si ce n’est répondre avec agressivité, ne maîtrisant pas elle-même les enjeux de son identité.
Elle s’en plaint à son oncle Ismaël, un homme original et touché par les cicatrices de la guerre, qui pour lui permettre d’explorer son identité lui raconte certains souvenirs de la ville sous les bombardements et notamment la nuit où avec le père de Latifa, ils ont volé le requin de l’aquarium de Dubrovnik…
Dans cette histoire la ville de Dubrovnik joue un rôle à part entière
Alors que Latifa, comme toute adolescente, commence à investir sa ville, elle est également explorée dans l’historique familial par les histoires d’Ismaël et de son père et dans son versant touristique par le travail de la mère de Latifa.
D’une manière assez symbolique, la ville vient remplacer l’arbre généalogique pour se faire ville généalogique, objet par lequel Latifa peut explorer son histoire et son identité et se construire en se confrontant aux autres, les autres réels de son quotidien et les autres abstraits du monde, à travers la figure des touristes qui l’amène aussi à s’intéresser au monde dans un aspect plus global. Un monde qui bien souvent dépasse les jeunes et les moins jeunes…
Cette problématique de l’identification, particulièrement explosive à l’adolescence, est évidemment dans le roman mise en abîme par le requin, enfermée dans son aquarium, pêché en temps de guerre par les membres de la famille de Latifa dans une expédition secrète, puis rejeté à la mer. On dit qu’il rôde encore autour des côtes, dans une double symbolique entre possibilité de liberté et d’évasion et sentiment de tension, puisqu’alors le danger est en permanence à proximité… Ca sera à Latifa, dans ses questionnements, d’aller décider de la représentation qu’elle souhaite donner à cette histoire, qui ouvre et clôt le roman.
Un roman pour les adolescents en quête d’identité, et leurs parents !
Suada Tozo Waldmann, l’auteure du livre, bosnienne de nationalité et travaillant notamment pour l’Unesco, ouvre avec ce bref roman la possibilité aux adolescents issus des générations post-yougoslave la possibilité d’aller questionner leurs origines et leurs récits familiaux. Mais sa simplicité dans le récit, l’authenticité de l’adolescence et des personnages qui en découlent et la légèreté de la plume qui permet d’aborder les traumas contemporains et leurs transmissions générationnelles, lui offre une connotation plus universel que la question balkanique.
Il se destine évidemment comme tout roman d’apprentissage à tout adolescent, mais peut particulièrement toucher les adolescents issus de couples mixtes et/ou grandissant sur un territoire encore marqué d’une histoire à vif.
Avec subtilité, le récit décale la question identitaire dans laquelle l’adolescent en souffrance peut s’enfermer à une réalité interculturelle plus souple, en permettant plusieurs possibilités d’identification, plusieurs enlacements identitaires.
Certaines scènes sont en ce sens touchantes de véracité pour qui s’intéresse à ces problématiques, notamment les discussions de Latifa sur l’origine de son prénom, ou son exploration de la question religieuse. Ce roman apparaît donc également comme un support intéressant pour les adultes qui souhaiteraient aborder la question de ces transmissions identitaires, avec leurs enfants ou d’autres adolescents.
Les éditions franco-slovènes sont tenues par Zdenka Štimac. Lancées en 2012, elles ont pour vocation de traduire et d’éditer en France des auteurs post-yougoslaves méconnus, avec une ouverture récente sur l’Europe de l’Est dans sa globalité et les auteurs issus de Zones Urbaines Sensibles.
Petite maison d’édition, cette réalité est utilisée comme un atout pour la littérature qu’elle offre au grand public, avec un choix pertinent des œuvres et des auteurs et une absence de pression sur le nombre de ventes, l’accent étant porté sur les récits à défendre.
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