Présentation d’un emblème d’Albanie : le Bunker, et les cicatrices laissées par la paranoïa d’un dictateur…
Du sommet des montagnes aux bords de mer, à demi enterrés en groupe le long des frontières ou même au milieu des cours d’écoles dans les villes, il n’y a pas un endroit qui est épargné par les bunkers en Albanie. Ils seraient environ 700 000 sur tout le territoire, construits dans les 30 dernières années du communisme.
La Bunkerisation albanaise
La bunkerisation du territoire a lieu au moment où l’Albanie se coupe du reste du monde. Après avoir rompu ses relations avec l’URSS en 1961 au moment des réformes de Nikita Khrouchtchev et s’être retirée du pacte de Varsovie, l’Albanie mit fin aux relations sino-albanaises après la visite de Nixon en 1972 en Chine. Le pays plongea dans un isolement économique et diplomatique, se fermant ainsi virtuellement au monde extérieur. Ce furent les années les plus dures du régime communiste, avec l’interdiction des cultes religieux, de nombreuses purges et répressions, le rationnement et la mise en place d’une nouvelle constitution qui renforce le pouvoir d’Enver Hoxha.
A cette époque, le dictateur, ayant perdu ses alliés, se sent de plus en plus menacé par ses voisins directs notamment, la Yougoslavie dont il accuse Tito de vouloir phagocyter l’Albanie pour en faire le septième pays de la République fédérative de Yougoslavie mais également la Grèce qui depuis l’indépendance de l’Albanie réclame les territoires du sud de l’Albanie, comme faisant partie de l’Epire du Nord. A cela, s’ajoute l’ennemi de toujours, l’Ouest avec en particulier l’OTAN, qui dans le contexte de guerre froide apparait aux yeux d’Hoxha comme une puissante menace.
Construits entre 1967 et 1991, les 700 000 bunkers couvrent la totalité du territoire en suivant un schéma de défense particulier. Autour des points stratégiques, bords de mer, frontières, ou autour de la capitale qui abritait les institutions, trois petits bunkers « les dômes » étaient bâtis à faible distance les uns des autres et reliés entre eux par un souterrain. Disposés ainsi en cercle, ils formaient une véritable barrière. Ces petits bunkers, appelés les QZ « Qender Zjarri » (position de tir) étaient constitués d’un dôme en béton de 3m de diamètre percé d’une fente de tir qui s’appuyait sur un cylindre creux. D’abord préfabriqués, ils étaient assemblés à leur position finale. Ces bunkers pouvant accueillir deux personnes sont les plus courants en Albanie.
Différents types de Bunker
De plus grandes casemates de « commande » étaient réparties sur le territoire de manière à contrôler une zone protégée par plusieurs QZ. Ces bunkers nommés PZ « Pikë Zjarri » (point de tir) étaient constitués de plusieurs tranches de bétons qui, une fois associées les unes aux autres, formaient un dôme de 8m de diamètre. Enfin de véritables labyrinthes de plusieurs kilomètres abritaient des gigantesques complexes souterrains comme celui au nord de Tirana, réservé pour la Nomenklatura, le gouvernement et la police secrète.
Cette superstructure de plus de 2 km possède entre autre les appartements et bureaux antiatomiques d’Enver Hoxha (plus luxueux que la plupart des maisons de l’époque) des salles de réunions et de projection, un bar café. D’autres structures « de fonction » servaient à abriter des tanks ou des navires.
Avec une population hautement militarisée, le régime s’assurait que chaque famille s’occupait de l’entretien du bunker qui leur était attribué. Les hommes comme les femmes et les enfants recevaient régulièrement des entrainements à la défense du territoire. Ainsi en cultivant la peur d’une attaque étrangère imminente, la dictature maintenait son système de protection.
A l’époque où la majeure partie de la population albanaise souffrait des pénuries et du rationnement strict des denrées alimentaires, le coût colossal de la mise en place de ces infrastructures semble complétement démesuré comparé aux ressources du pays. Reflétant la paranoïa d’un homme, ces bunkers qui n’ont jamais servi se sont transformés en terrain de jeu des enfants, des graffeurs et artistes. Marquant le paysage, ils sont devenus peu à peu un des symboles de l’Albanie inspirant les cendriers-bunkers des magasins de souvenirs et les bars trendy du quartier hype de Tirana (de quoi faire se retourner Enver Hoxha dans sa tombe).
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