Comment devenir un bot, un profil dirigé par le SNS, le parti au pouvoir en Serbie, pour diffuser de la propagande en sa faveur ? Notre enquête en 4 parties, Hajde au pays des bots, nous plonge dans ce monde étrange.
Conclusion: une armée de bots au poids limité
Le monde des bots est, au final, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît… mais aussi beaucoup plus petit. On trouve parmi les bots quelques « machines », des profils qui publient de manière industrielle du contenu pro Vučić. Pourtant, la majorité des botovi est en fait bel et bien humaine, il s’agit de personnes qui ont transformé leur profil personnel sur les réseaux sociaux relais du SNS. D’une certaine manière, Vučić a réussi à lever une véritable armée 2.0, qui mitraille à feu continu une partie de l’Internet serbe de sa communication.
La question que je me posais au début de cette enquête, cependant, n’a toujours pas de réponse : comment peut-on être bot ? Au vu du contenu posté par ces profils, nous ne sommes clairement pas dans l’idéologie, ni même dans la défense et la promotion d’un programme. On peut donc se demander à quel point ces personnes soutiennent réellement le parti.
Une telle armée de bots impressionne au premier abord. Elle démontre le poids numérique d’un parti de masse. L’efficacité de cette stratégie laisse cependant à désirer, et l’on s’aperçoit que cette présence 2.0 n’est pas aussi forte qu’il n’y paraît: ce monde de bots, entre faux, vrais-faux et vrais profils fonctionne quasiment en circuit fermé. Alors que le but est de truquer le jeu du débat en ligne en faveur de Vučić, les ficelles deviennent rapidement trop grosses: le contenu partagé est trop répétitif, les partages et réactions sont trop vides de sens, bref, les bots sont trop intenses pour pouvoir fonctionner dans un système ouvert de débat d’idées et pour véritablement arriver à fédérer. La stratégie peut alors devenir rédhibitoire pour rallier les indécis. Dans un monde de markéteux, on parlerait de message trop segmentant. Le résultat ressemble plus à une mauvaise ferme à likes (une tactique qui consiste à embaucher un nombre important de petites mains pour laisser de faux avis et un nombre massif de likes) qu’à un véritable activisme numérique. Pour résumer, trop de Vučić tue le Vučić !
Le système des bots est, en fait, une transposition en ligne de la stratégie des progressistes en Serbie. Le SNS a des chiffres d’adhérents impressionnants. Avec près de 730 000 membres revendiqués, soit plus de 10% de la population, il s’agirait du plus fort parti d’Europe proportionnellement au nombre d’habitants. Pourtant, le militantisme, en dehors de quelques « noyaux durs » est assez peu visible. Il ne l’est qu’à un seul moment, lors des meetings de masse organisés par le parti. Toutefois, de nombreuses sources rapportent des actes répétés d’intimidations, tels ces SMS envoyés aux employés des services et entreprises publiques leur intimant l’ordre de participer aux meetings, sous peine de perdre leurs emplois. Derrière cet apparent volume, on peut donc raisonnablement s’interroger sur le réel soutien à la politique gouvernementale.
Qui sont donc les bots ? Ils sont le fer de lance de l’offensive du SNS sur les réseaux sociaux. Je parlais un peu plus haut d’armée, il reste à savoir à quel point ces « soldats » sont volontaires dans cette bataille.
Au moment où je finissais de rédiger cet article, le site d’investigation BalkanInsight publiait une enquête sur le portail castle.rs . Cette plateforme, gérée par le SNS, a été infiltrée au cours de cette dernière année par des hackers, qui ont confirmé l’existence d’une gestion active du système de bots par le parti. Ce travail révèle ainsi, que des employés d’entreprises publiques utilisent leur temps de travail pour publier du contenu et commenter en faveur du SNS, le tout sous contrôle d’officiels du parti. Cet article conforte donc l’impression que j’avais : les bots sont bel et bien téléguidés activement par les progressistes.
Dans tous les cas, la stratégie des bots n’apporte pas grand chose au débat d’idées, sauf des milliers d’émoticônes et de gifs en commentaires de photos partagées et repartagées. Cela étonne-t-il encore, au moment où la Serbie, d’après certaines ONG comme Freedom House, ne peut plus considérée comme une démocratie ?