A l’instar de Berlin, la capitale serbe au passé complexe grouille d’une culture underground éclectique, alors que dans le même temps Belgrade a été éliminée dans la course à la candidature au titre de capitale européenne de la culture 2021. Belgrade nouvel eldorado culturel underground ? Analyse
Est-il encore utile de comparer Berlin et Belgrade ? La question peut se poser, car les deux villes sont comparables sur bien des points, les deux capitales ayant vécu des périodes troubles. Effectivement, une forte mobilisation de leurs populations, à Berlin en novembre 1989 au moment de la chute du mur et à Belgrade plus de 10 ans plus tard en octobre 2000 lors de la révolution des bulldozers, mouvement de protestation voyant entre 800 000 et 1 000 000 belgradois dans les rues entrainant la démission de Slobodan Milošević, a permis la chute des régimes en place dans leurs pays respectifs.
A Berlin, la culture underground a émergé dès le début des années 90 grâce notamment à la musique techno, aujourd’hui devenue totalement mainstream. Les berlinois se retrouvaient alors dans des lieux vides et miteux, sans électricité, installés ça et là à travers la ville, et oubliaient leurs problèmes pour faire la fête jusqu’au bout de la nuit.
Belgrade vit aujourd’hui une situation similaire mais des différences subsistent. Si Berlin s’est fait un nom dans l’électro et a réussi le virage des années 2000 en monnayant son titre de capitale de l’électro aux touristes les plus offrants, Belgrade se cherche encore une personnalité.
Effectivement, les politiques berlinois ont surfé sur cette hype underground qu’ils vendent aujourd’hui dans le monde entier. Un capitalisme pourtant critiquable car servant à remplir les caisses de la ville plutôt qu’à soutenir la scène alternative.
Les politiques belgradois et plus largement les politiques serbes ne vendent eux que des parcelles de terrain à des acheteurs venus du Moyen-Orient moyennant un gros chèque. Les différents gouvernements serbes de ces dernières années ont oublié la culture. Ce sont alors des initiatives locales qui émergent mais ne sont pas soutenues.
La création culturelle serbe n’existe plus
Le cinéma Zvezda est un exemple criant de cette subculture soutenue par la société civile et non par le gouvernement. Ce cinéma ouvert en 1911, qui en fait le plus ancien de Belgrade, a été privatisé dans les années 2000, racheté par un businessman serbe, puis fermé. Grâce à la mobilisation de cinéphiles et d’étudiants, il a alors été occupé en 2014 par 200 personnes. Aujourd’hui, ce lieu culturel revit et propose une diversité de films à destination d’un public varié et pour une somme modique, afin d’ouvrir la culture à tous.
Le nombre de musées fermés, ou ne proposant que des expositions dérisoires, se multiplie; l’Etat se désengageant totalement de ce pan de la culture, voire de tous les autres. La création culturelle serbe est quasi inexistante.
La capitale serbe possède pourtant de nombreux bâtiments abandonnés, pouvant devenir à court terme des friches culturelles. Mais l’impulsion manque, malgré la mobilisation d’une centaine de belgradois multipliant les projets alternatifs. Effectivement, depuis la chute de Slobodan Milošević, l’espoir d’une nouvelle nation a alors germé dans les esprits collectifs, et qui mieux que le monde culturel pour impulser cette dynamique.
Le quartier de Savamala premier touché
Dans de nombreuses villes, la gentrification s’est développée grâce à l’occupation des quartiers par les acteurs culturels underground. A Belgrade, ces acteurs culturels se sont installés dans la quartier de Savamala, situé le long de la rive droit de la Sava. C’est ce quartier qu’a choisi le gouvernement serbe pour développer le projet Waterfront, projet immobilier de plus de 3,6 milliards de dollars signé avec un promoteur des Emirats Arabes Unis pour développer un gigantesque complexe de luxe. Ceci a découragé les jeunes, les poussant à partir vers les pays occidentaux.
Une résistance à travers le Turbo Folk et la culture mainstream
Aujourd’hui, la jeunesse serbe adepte de Turbo Folk, cette musique originaire des Balkans, se retrouve dans la fameuse “Silicon Valley”, rue branchée de Belgrade aux nombreux bars, nommée ainsi en référence aux bimbos hantant la rue “Strahinjića Bana”. Ils migrent ensuite vers les Splav, ces péniches amarrées le long de la Sava pour écouter les derniers tubes du moment, ou des sets endiablés de DJ internationaux à la mode.
Durant l’été, ils sont aussi des milliers à se donner rendez-vous au “Ada Ciganlija”; parfois jusqu’à 300 000 personnes se retrouvent au bord de ce lac artificiel transformé en centre de loisir, et comptant des dizaines de bars. Les prix attractifs attirent des personnes du monde entier.
D’autres initiatives naissent depuis quelques années dans toute la Serbie. De nombreux festivals reconnus font le succès estival de leur créateur, tels que le festival Exit, Love Fest, Guča, ou encore Resonate. Ce dernier s’européanisant grâce à son entrée dans le projet “We Are Europe” porté par l’association Arty Farty, créatrice de Nuits Sonores.
L’européanisation, une solution pour certains, pourtant l’Union Européenne ne peut influencer les décisions du gouvernement serbe, candidat à l’adhésion. La culture underground a souvent permis à la culture de se renouveler, cependant sans volonté de la Serbie, et malgré ses porteurs de projets, la culture, et plus encore la culture underground, verra son avenir s’assombrir et doit essayer de s’inventer avant de se réinventer.
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