Quelques jours après la tentative de Belgrade de faire rouler au Kosovo un train reliant Belgrade à Mitrovica arborant le slogan « le Kosovo est la Serbie », revenons aujourd’hui sur cette affaire, sur son origine, et sur ce qui pourrait désormais arriver. Une occasion de revenir sur la situation au nord du Kosovo.
Rappel des évènements
Annoncé en grande pompe par le gouvernement serbe, le projet prévoyait, pour une période d’essai, de faire circuler un train (made in Russia) entre Belgrade et Mitrovica. Présenté comme étant une première depuis la guerre de 1999, ce train se devait être une réponse à un besoin des populations locales, et devait, pour l’évènement, arborer une livrée spéciale indiquant en gros “le Kosovo est la Serbie”. Le train n’a finalement pas pu entrer sur le territoire du Kosovo, ayant été bloqué par les autorités kosovares à la frontière.
Depuis, la situation reste relativement confuse, Pristina criant à la provocation, alors que Belgrade affirme que les forces kosovares auraient miné la voie ferrée, ce que le gouvernement du Kosovo réfute absolument. En parallèle, Belgrade accuse désormais Pristina de mettre en danger les populations serbes du Kosovo.
Le contexte : une situation tendue au nord du Kosovo
Pour comprendre un peu plus précisément la situation, revenons sur la situation du nord du Kosovo, et des chemins de fer sur le pays.

Alors que la majorité de la population au Kosovo est albanaise, le nord du Kosovo (principalement toute la zone se situant au nord de la rivière Ibar) est à très forte majorité serbe. Cette situation, dès la fin de la guerre, a rendu très compliquée, voire impossible, la mise en place d’institutions contrôlées par l’administration kosovare, d’abord sous contrôle de l’ONU, puis progressivement de plus en plus autonome, jusqu’à la déclaration d’indépendance du 17 février 2008.
Malgré le retrait des troupes serbes en 1999, les administrations serbes, sous contrôle de Belgrade ont continué à opérer dans cette partie nord du Kosovo. Des services publics comme la poste ou les télécoms, jusqu’à certaines administrations comme l’état-civil, des dizaines de « structures parallèles » se sont maintenues.
La problématique ligne du nord
Venons-en aux chemins de fer : le conflit ayant interrompu le trafic ferroviaire, celui-ci fût remis en place par les troupes de l’OTAN dès la fin de 1999, avant tout pour transporter des troupes et du matériel vers le Kosovo. La gestion fut très rapidement transférée aux autorités civiles, en l’occurrence la Mission Intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), qui remirent en place une compagnie pour exploiter du trafic civil, à la fois passager et militaire, sur le territoire. Dans le cadre du retrait progressif de la communauté internationale, la compagnie fut finalement transférée aux autorités locales naissantes (en l’occurrence le gouvernement du Kosovo) en 2005.

Photo : J. Cid
Parmi les services proposés par les chemins de fer du Kosovo, l’un d’entre eux acquit une mission de maintien de la paix. La principale ligne du territoire, en effet, le traverse du nord au sud, de la frontière avec la Macédoine jusqu’à la frontière avec la Serbie, en passant par bon nombre de villages à majorité serbe. Il fut donc mis en place dès 2002 un système de “trains de la liberté de mouvement”, parcourant cette ligne du sud au nord, permettant ainsi aux serbes de se déplacer plus facilement à travers le Kosovo, et même au-delà, étant donné qu’une correspondance était organisée à la frontière serbe avec un train se rendant jusqu’à Belgrade.

La situation se détériora cependant en 2008. Suite à la déclaration d’indépendance du Kosovo, des manifestants serbes se rendirent au nord de Mitrovica et bloquèrent le trafic en provenance du sud de l’Ibar. Les chemins de fer du Kosovo furent contraints de suspendre le trafic. Dans les jours qui suivirent, les chemins de fer serbes mirent en place leur propre desserte au nord du Kosovo, de la frontière serbe jusqu’à la banlieue de Mitrovica (la gare de Zvečan, située à 1500m du centre de Mitrovica). Les nouveaux arrivants proposèrent d’abord une ligne directe vers Belgrade, qui fût finalement discrètement raccourcie en décembre 2009 à Kraljevo, probablement en raison du manque de fréquentation (bien qu’aucune raison officielle n’ait été donnée). La situation fut depuis lors stable, le seul évènement notable étant la construction d’une nouvelle gare pour Mitrovica dans le nord de la ville (contrôlé par les serbes), les quelques tentatives de négociations entre Pristina et Belgrade n’ayant pas abouti à ce sujet… jusqu’au train de janvier 2017.
Derrière l’incident, la symbolique
La symbolique derrière ce train est, bien entendu, assez importante, ce qui explique ce déchaînement de passion.
L’idée de faire rentrer au Kosovo un train avec une inscription comme “le Kosovo est la Serbie” peut-être aisément perçue comme une provocation pour Pristina. La manière dont Belgrade a annoncé la nouvelle puis géré ses retombées est là-aussi très symbolique.

Photo : J. Cid
Comme nous avons pu le voir, cette reprise de la desserte présentée comme une première depuis la guerre, relayée par la presse serbe, et par des médias étrangers (le Figaro par exemple, ou encore le Monde), n’en est pas une : le trafic dans le nord du Kosovo a été très vite rétabli après la guerre, et la liaison directe avec Belgrade a existé pendant deux ans. Relancer cette ligne, en soi, n’avait donc rien d’un scoop. Plus encore, les accusations faites par le gouvernement serbe depuis ne sont pas non plus anodines : dénoncer un minage des voies par les autorités de Priština/Prishtina fait référence directement à l’attentat de Podujevo en 2001, lorsque des nationalistes albanais ont fait exploser un bus serbe à l’aide d’une mine télécommandée en plein Kosovo.
Aucune preuve ne vient étayer l’accusation de Belgrade quant aux mines, mais elle permet à la Serbie de déterrer de vieux et douloureux souvenirs. Plus encore, la rhétorique adoptée par Belgrade depuis cet évènement n’est clairement pas en faveur d’une détente, le président Serbe, Tomislav Nikolić, ayant tenu des propos ouvertement belliqueux : “Si des serbes sont tués, nous n’enverrons pas seulement l’armée, nous y irons tous, moi le premier, ce ne serait pas ma première fois” (voir la déclaration, en serbe).
Ces propos sont toutefois à prendre avec du recul, tant la faisabilité d’une intervention serbe au Kosovo serait rendue compliquée par la présence de troupes de l’OTAN sur le territoire. Ils viennent toutefois se joindre à un regain de tensions entre Prishtina et Belgrade depuis deux ans, les négociations entre les deux gouvernements étant désormais au point mort.

Photo : J. Cid
Et maintenant, quelle suite ?
Et la réaction internationale, dans tout ça ? L’idée de Belgrade de faire circuler un tel message sur un train dans le nord du Kosovo, la zone la plus sensible d’Europe (hors espace post-soviétique) aurait dû provoquer (au minimum) quelques commentaires de la communauté internationale, très largement présente dans la region, notamment sur ses potentielles conséquences diplomatiques. Il n’en a rien été.
Belgrade, tout comme Pristina sont, au final, en train de gérer eux-mêmes la crise. Cela pourrait être un bon signe, celui d’une passation des pouvoirs après près de 20 ans de “tutelle” internationale. Force est de constater que cette transition est très loin de se faire calmement. Reste à voir maintenant quelle sera la suite des événements : la pression peut-elle désormais redescendre, ou bien l’escalade est-elle inéluctable ?