Newborn – La France possède la Tour Eiffel, le Brésil jouit du Corcovado, les Grecs vénèrent le Parthénon; chez les Kosovars, un monument aussi jeune que l’indépendance de ce pays fait office de monument national. Sept lettres plantées au milieu de la capitale Prishtina. Sept lettres qui changent d’allure selon l’humeur du pays. Newborn : un message clair à destination du monde entier.
Février 2008. Le Kosovo déclare son indépendance, neuf ans après la fin de la guerre. Pour célébrer un tel événement, il fallait forcément organiser des festivités qui marqueraient les mémoires. « La nouvelle était sur toutes les chaînes d’infos : le gouvernement disposait d’environ un million d’euros pour les célébrations du jour de l’indépendance. Nous savions que si nous venions avec la bonne idée, ils seraient partants. Du coup, on a proposé cette immense sculpture. Dès que le comité en charge des festivités pour l’indépendance l’a vu, ils ont adoré l’idée », raconte Fisnik Ismaili, le père du Newborn, dans les colonnes d’Adweek en 2008.
La première version du Newborn est jaune. D’une seule teinte. Cependant, le monument ne reste pas en l’état bien longtemps. Disposé entre l’American School of Kosovo, le siège d’EULEX et le palais des sports de Prishtina, le Newborn est bientôt constellé de signatures de badauds. Encouragé par l’artiste Fisnik Ismaili lui-même et suivant l’exemple de personnalités comme Atifete Jahjaga ou Hashim Thaci, les citoyens kosovars et les touristes laissent tous leurs traces sur le monument.
Nouvelle année, nouvelle mouture
Il faut attendre 2013 pour que le Newborn soit repensé, alors que la couleur jaune originelle est difficilement perceptible sous la centaine de milliers de graffitis et signatures (150 000 personnes auraient signé sur le monument). Fisnik Ismaili lance un appel populaire sur Facebook à l’occasion du cinquième anniversaire de l’indépendance et en quelques heures le monument est repeint par plus de 60 volontaires.
Cette fois-ci, le monument prend de nouvelles couleurs et célèbre tous les pays qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo. Sur la face arrière, des espaces sont laissés libres pour peindre les drapeaux des pays qui reconnaitraient dans le futur l’indépendance du Kosovo. Le monument se fait à la fois porte-parole de la cause du Kosovo et le place dans le concert des nations.
2014. La nouvelle peinture est cette fois portée vers le passé. Et la guerre. Des couleurs de camouflage surmontées de coeurs et d’impacts de balles pour honorer la mémoire des combattants de l’Armée de Libération Albanaise (UCK) et des troupes de l’OTAN ayant participé à la guerre de 1999.
Et puis vient 2016. Le message est à nouveau politique. Des barbelés saignent le ciel bleu plein de nuages. Huit ans après leur indépendance, les Kosovars sont toujours soumis à un très strict régime de visa qui les empêchent de voyager librement dans une très grande majorité du globe, à l’exception d’une petite demie-douzaine de pays. Les discussions sur l’assouplissement de ce régime de visa au sein de l’Union Européenne à destination des Kosovars semblent sans fin et l’espoir d’une issue positive dans les mois à venir s’amenuise au sein de la population.
L’usage d’un monument national ?
Demandez à n’importe quel touriste rentrant du Kosovo et vous pouvez être quasiment certain que le cliché du Newborn se retrouvera dans l’album souvenir. La notoriété du monument a également été exacerbé par l’emblème de la diaspora kosovare Rita Ora. Dans son clip Shine Ya Light, le Newborn originel joue un rôle phare et se place en incontournable de la capitale. Un clip vu plus de 16 millions de fois tout de même…
Ce monument possède une caractéristique : il évolue. Ainsi l’usage du Newborn et de son évolution pose question. Tout d’abord, qui décide réellement du nouveau message et de la nouvelle peinture chaque année ? Fisnik Ismaili est devenu député de Vetëvendosje, parti prônant le nationalisme albanais. Le Newborn doit-il servir la cause d’une communauté, d’un parti ou porter un message au-delà des nombreux clivages présents au Kosovo ?
En 2011, la rédactrice en chef de Kosovo 2.0 Besa Luci écrivait: « Ce monument pointe vers les relations du Kosovo avec lui-même et avec les autres pays, et en tant que signal, il ne peut être lu qu’à travers l’inégalité du Kosovo; voilà pourquoi beaucoup voient le Newborn comme une représentation de l’infantilité du Kosovo, où le Kosovo se perçoit comme un enfant, est traité comme un enfant et par essence doit être éduqué comme un enfant.«
Cinq ans plus tard, il semblerait que les mêmes lignes puissent être écrites sans qu’elles paraissent désuètes. Le pays vit sous l’assistance de parents internationaux attentionnés, notamment l’oncle américain toujours prêt à aider les décisions quand il s’agit de conseiller l’orientation de l’enfant Kosovo. Dans ce contexte, le Newborn fait office de bouteille à la mer, il porte le message des sans voix. La cause de cette année est connue de tous depuis bien longtemps et le monument transmet cette année le discours d’une certaine population qui a bien compris qu’il ne servait à rien de s’égosiller pour obtenir le changement des politiques de visas.
Le Newborn est comme le Kosovo : un espace en construction, aux contours et aux rôles mal définis. Toujours est-il que chaque 17 février, il sera bon de regarder la nouvelle robe de ce monument pour comprendre dans quel état d’esprit vit ce jeune état.
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