Quoi de mieux pour se plonger dans la société géorgienne que l’œil aiguisé d’un jeune cinéaste ? Le pitch de Negative Numbers de Uta Beria est on ne peut plus simple et pourrait tenir en une phrase : des délinquants mineurs incarcérés trouvent un espoir de réinsertion grâce au rugby. Le réalisateur marque un bel essai avec ce premier film fort et rythmé.
Le cinéma comme miroir de la société géorgienne
Negative Numbers est un film nécessaire pour son réalisateur qui s’appuie sur un fait social inquiétant qui sévit en Géorgie : les « vori v zakone » (les « voleurs dans la loi »). Ce titre est attribué à un petit nombre de criminels formant l’« élite » de la mafia russe et géorgienne et jouissant d’une autorité reconnue dans le milieu.
Cela ressemble en apparence à une mafia, mais cela n’en est pas vraiment une. Ce phénomène est né en URSS dans les années 1930. Il s’agit d’une caste de truands (cambrioleurs, voleurs de magasin, de gare, perceurs de coffres). Une particularité des voleurs dans la loi est leur désengagement politique et leur auto-perception de gardiens des traditions du milieu d’avant la révolution.
Cela s’est ensuite répandu dans la société russe et géorgienne, jusqu’à aujourd’hui. La prison devient le lieu de recrudescence de cette mentalité dans les années 2000. Uta Beria nous montre alors avec force cette culture, le meilleur moyen de montrer comme elle fonctionne étant de filmer la prison.
Negative Numbers : Criminalité et Rugby
Outre ce fait de société, Negative Numbers est également l’histoire inspirée des faits réels d’un centre de détention pour mineurs à Tbilissi, en Géorgie, au début des années 2000. Deux anciens joueurs de rugby, ex-professionnels, ont relevé le défi d’aider ces jeunes délinquants en amenant le rugby dans ce centre. Uta Beria a cependant l’intelligence de n’utiliser ce fait uniquement comme un prétexte pour centrer son film sur l’existence des détenus. Loin de ne se focaliser que sur des scènes d’entraînement, il dépeint avec brio la vie quotidienne des jeunes hommes dans le centre pénitencier.
Caméra à l’épaule, Beria filme avec justesse la vie dans les dortoirs : les leaders, les têtes brûlées font respecter l’ordre en mettant en place un système de dette. La moindre dette non réglée vaut une mise à l’écart du groupe. Les plus jeunes subissent l’autorité des plus grands, préférant suivre sans mot dire. Deux seuls pauvres hommes représentent l’ordre, ils laissent couler la moindre accroche, préférant rester cordiaux : ce sont les prisonniers qui font la loi. Pour la plupart non professionnels, les acteurs brillent par leur authenticité.
Pourtant, les distinctions entre un chef, les affidés et les suiveurs s’estompent une fois sur le terrain de rugby. Loin de la morale pleine de bon sentiment, Uta Beria utilise cette égalité naissante pour accentuer la violence qui existe dans les cellules entre les détenus. Une révolte fomentée de l’extérieur vient mettre en péril le projet de l’équipe de rugby de la prison de jouer leur premier championnat. Ils doivent alors choisir entre obéir ou jouer.
Fiction documentaire brute
Dénué d’artifice, Negative Numbers est fort de sa mise en scène sobre, dépouillé, voire froide. Le réalisateur disposait de matériel issu des psychologues de centres de détention juvénile mais aussi des joueurs de rugby intervenus dans la prison, et d’anciens prisonniers et. Riche de cette matière première, le film est particulièrement crédible. D’ailleurs, cela n’exclut pas des scènes et des moments particulièrement violents et durs. Les dévoiler ici serait dévoiler les nœuds principaux de l’intrigue…nous vous laissons le soin de le voir par vous-même !
Au-delà de ses thématiques difficiles, Negative Numbers en explorent d’autre beaucoup plus sensibles : les détenus cherchent à trouver leur liberté à l’intérieur de la prison et à se battre pour cette dernière. Un premier film fort qu’il est urgent de découvrir.
Le film fait partie de la sélection du ArteKino Festival.
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