Hier l’Albanie, comme de nombreux pays, célébrait Sultan Novruz. Cette fête, entrée dans le calendrier albanais en 1996, est liée à la communauté Bektashi. Cependant, ses racines plus anciennes remontent aux prémices des religions monothéistes.
Qu’est-ce que Novruz ?
Le mot Novruz, orthographié parfois Nowruz ou Nevruz, viendrait de l’ancien iranien et signifie mot pour mot « le nouveau jour », c’est a dire la nouvelle année. L’appellation qu’on retrouve en Turquie et en Albanie de Sultan Novruz pourrait signifier le Roi (Sultan) du nouveau jour (Novruz), c’est a dire le tout premier jour de la nouvelle année.
Cette fête ancienne serait née durant l’âge du bronze en Iran actuel, elle est liée à l’équinoxe de printemps et se déroule entre le 20 et 22 mars. Elle marquait le commencement de la nouvelle année, le renouveau et l’arrivée des beaux jours. Cette fête, tantôt décrite comme paienne, qualifiée tantôt de Zoroastienne, s’est transmise de générations en générations et a su se maintenir face à l’avènement des différentes religions jusqu’à nos jours.
Elle est aujourd’hui célébrée de l’Albanie jusqu’en Inde, et chaque pays a ses propres traditions d’honorer Novruz, que ce soit par les sauts à travers les grands feux allumés la nuit tombée, ou par l’achat de poissons rouges.
Vous pourriez toutefois me demander comment cette fête païenne perse qui symbolise l’arrivée du printemps est entrée dans le calendrier Bektashi en Albanie. L’une des hypothèses serait la volonté de faire de cette fête païenne persistante une fête religieuse au moment de la création de l’Empire perse en associant à Novruz, le 22 mars, la naissance de l’Imam Ali, figure centrale de l’islam chiite, religion de l’Empire.
En effet, la date de naissance du premier des 12 imams reste encore floue, seul le 13 du mois de Rajab est retenue. Est-elle en 600, qui correspondrait au 17 mars, ou en 661 qui correspondrait au 23 mai, mais en aucun cas au 22 mars. Cette fête se serait ensuite propagée comme le bektachisme dans tout l’Empire Ottoman via les soldats d’élites, les Janissaires.
Sultan Novruz au centre Bektashi de Tirana
Depuis 1929 l’Albanie est le siège des Bektahi dont le centre mondial a été bâti à Tirana. Ce centre regroupe un Tekke (teqe en albanais), un vaste musée sur le Bektachisme à travers le monde et des turba, tombeaux des anciens Baba (haut présentant dans l’ordre Bektashi). C’est dans ce centre qu’est célébré, le 22 mars, Novruz.
En début de matinée, le centre commence à prendre vie avec quelques petits stands d’artisanat local et des danses traditionnelles, en attendant le début de la cérémonie.
Comme nous sommes en Albanie et que l’Albanie aime cultiver sa particularité, la célébration de Sultan Novruz s’ouvre sur l’hymne national albanais. Si les Bektashi ont beaucoup oeuvré pour la naissance de la prise de conscience d’une nationalité albanaise au 19e siècle (l’on pense notamment aux frères Frashëri), ce nationalisme, après les années 1990 a pris des tournants peu orthodoxes. On retrouve ce patriotisme tout au long de la cérémonie.
Dans un premier temps, les festivités se concentrent sur le renouveau, l’arrivée du printemps et la nouvelle année avec des danses folkloriques albanaises, des polyphonies du nord comme du sud du pays, des chants et poèmes odes a la nature de Lasgush Poradeci.
A cela s’ajoutent quelques interventions de personnalités, dont celle totalement étonnante (voire hérétique) du Président de l’Assemblée albanaise, Ilir Meta. Enfin dans un second temps, la cérémonie se focalise sur la naissance de l’Iman Ali.
Le Baba Edmond Brahimaj prend la parole. Il revient sur l’importance de ce jour pour les Bektashi, sur la figure du premier Imam, sur les conditions de sa naissance, son héritage et ses liens avec le Prophète Muhammad. Plusieurs prières sont prononcées en son honneur. Baba Edmond Brahimaj s’adresse ensuite à la foule et souhaite, aux Bektashi mais également à l’Albanie, ses vœux de paix et d’amour pour la nouvelle année.
La cérémonie se clôture enfin sur la distribution de sandwichs à la viande d’agneau, de boissons et de sucreries. Les plus pieux peuvent alors s’entretenir avec le Baba, ou allumer des bougies et prier, à proximité des Turba.
Si la communauté Bektashi s’efforce de montrer un autre visage de l’Islam, différent de celui ultra rigoriste trop souvent montré de nos jours, en affichant une « particularité albanaise » (peut être sous la pression des politiques), elle perd cependant une partie de son patrimoine.
Pourquoi avoir insisté sur le folklore albanais lors de la cérémonie (qui ressemblait a s’y méprendre aux festivités de Dita e veres) alors que la culture Bektashi est riche tant en danses, qu’en chants et poèmes ? Pourquoi ne pas avoir récité des poèmes de Rûmi ou fait danser des derviches tourneurs ? En s’albanisant, le courant néglige une partie importante de son héritage plus vaste et perd l’un des points essentiels de l’Islam qui se dit universel.
Mais, me direz-vous, on est en Albanie, et en Albanie rien ne se passe comme ailleurs.
*** avec mes chaleureux remerciements à Enris Qinami
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