Zarko Petan – Dans notre monde, un tribunal organise le procès du Loup du Petit Chaperon Rouge pour son crime odieux et appelle différents personnages de contes à la barre. Mais la logique des contes peut-elle s’appliquer à notre monde ?
« J’AVAIS FAIM ! J’AI TOUT LE TEMPS FAIM D’AILLEURS. »
Enième variation sur le thème du Petit Chaperon Rouge, le procès du Loup est une pièce de théâtre jeunesse. Sa spécificité est de se passer après le conte. Le Loup est amené à répondre de ses actes – de ses crimes, pardon – devant un tribunal. Cette pièce est extrêmement rythmée et son comique tient dans l’absurdité des dialogues. Pour les personnages du conte, il n’est pas lieu de s’aimer ou de se venger, ils ne font qu’exécuter le rôle qui a été écrit pour eux.
Ils vivent dans le monde des contes, un monde où les Loups n’ont d’autre choix que de manger les petites filles et de se déguiser en grand-mère. « On m’a raconté cette histoire, quand j’étais encore jeune louveteau » dit le loup au juge. Une boucle temporelle dans laquelle tous les loups et tous les petits chaperons rouges grandissent en connaissant ce conte et puis le vivent et le transmettent enfin à leurs enfants.
Face à l’impossibilité de mener à bien leur procès, les hommes de lois vont faire preuve d’une mauvaise foi absolu. Les victimes ne vont plus avoir le droit à la parole. Si elles se défendent, elles ne sont plus victimes et donc il n’y a plus lieu d’avoir de procès. Le Loup lui-même pourrait être considéré comme victime du Chasseur ! Ce sont donc eux, juges et avocats, qui vont décider de ce qui a eu lieu, de qui est victime ou coupable, et de la sentence qui doit être proposé.
Sous l’aspect comique de la joute verbale, on peut se demander si ce procès kafkaïen s’adresse réellement à la jeunesse. Et c’est là que cette pièce prend tout son intérêt. Dans la forme, oui, c’est une pièce jeunesse. Simple, accessible, l’humour est un humour de situation et les enfants y sont réceptifs. Les personnages du conte prennent régulièrement le public à parti et l’impliquent ainsi dans ce procès. Mais leur logique est celle des faits, non de la morale et c’est la logique de l’enfance.
Zarko Petan, l’auteur de ce texte, s’agaçait lui-même du fait que l’on puisse voir à travers son Loup une figure allégorique du dissident politique. Slovène ayant grandi dans ce qui était alors la Yougoslavie, il s’amusait en interview à répondre « Certains voient dans mon livre un message dissident. Moi je n’ai pas grandi en démocratie, je n’y ai même pas pensé. » Cette réponse elle-même fleure bon la dissidence, pourtant…
Partisan du théâtre de l’absurde dont il a été l’un des premiers instigateurs sur les scènes yougoslave et un fervent défenseur ensuite au Théâtre national slovène, il déclare avoir avant tout écrit cette pièce pour amuser sa fille, alors âgée de huit ans. Il souhaitait à travers cette pièce retrouver un goût d’enfance, grâce à la fin poétique qu’il propose (spoiler : alors que la potence est préparé pour le Loup, le Petit Chaperon Rouge et lui se sauvent main dans la main dans le bois du conte, derrière le rideau du tribunal…).
J’ai toujours été partisane de croire les dires d’un auteur et de ne pas chercher à tirer d’autres conclusions. Mais Zarko Petan a également adapté son Loup à chaque pays où cette pièce a été monté : séducteur en Autriche, violent dans les Balkans, taciturne dans d’autres pays… Encore une fois, il décrie ici tout message politique destiné aux adultes dans la salle, qui pourraient reconnaître un symbole de leur histoire. On s’adapte aux acteurs, dit-il. Alors pourquoi ne jamais avoir réinventé les autres personnages… ?
Au final, monsieur Petan est peut-être à l’image de ce Loup. Comme le si bien le Chasseur :
«LE LOUP EST UN ANIMAL TRÈS RUSÉ. PEUT-ÊTRE FAIT-IL COMME SI IL VIVAIT TANDIS QU’IL EST EN RÉALITÉ MORT ET BIEN MORT. PEUT-ÊTRE AUSSI AVANT IL A FAIT COMME SI IL ÉTAIT MORT ALORS QU’IL ÉTAIT BIEN VIVANT. CE N’EST PAS IMPOSSIBLE, MONSIEUR LE JUGE.»
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