Il est facile de passer à côté de Niš, troisième ville de Serbie, malicieusement placée au centre d’un triangle formé par Belgrade, Skopje et Sofia, Niš est souvent négligée au profit de ces trois capitales…
D’apparence calme et tranquille, Niš ne dévoile pas tous ses atouts au premier coup d’œil – mais si vous savez où regarder, elle a beaucoup à offrir. Loin de proposer une liste exhaustive des activités et lieux qui composent Niš, cet article cherche surtout à vanter les mérites d’une ville qui a tout pour plaire et à vous donner envie de la visiter par vous-même.
Niš était ma porte d’entrée en Serbie, une étape ajoutée au dernier moment dans un itinéraire improvisé. Dès le premier soir, je marchais avec émerveillement dans la ville, le sac empli de légumes et les poumons emplis de l’air d’un pays nouveau, ne pouvant m’empêcher de sourire, mes pas me portant sans le savoir vers la forteresse.
J’ai prolongé mon séjour à Niš autant que possible, y passant plusieurs jours à flâner et découvrir et boire du café à diverses terrasses, échangeant des conversations avec les locaux et prenant des photos des fleurs colorées pesant sur les branches des arbres.
Quelles surprises vous réserve Niš ?
Commençons par le plaisir de prononcer son nom, le « s » surmonté d’un petit chapeau inversé étant plus riche et caressant que notre consonne française. Pas Nice, donc, mais Nish, ce qui fait toute la différence.
La ville tient son nom de la rivière Nišava, autour de laquelle des tribus celtes ont choisi de s’installer au cours du troisième siècle avant Jésus-Christ.
Aujourd’hui encore, la rivière est une figure importante de la ville, coulant paresseusement aux pieds de la forteresse, lieu de rencontre des étudiants qui viennent y boire une bière en regardant le soleil se coucher, des chiens errants et des amoureux ou des voyageurs en quête de romantisme.
Conquêtes et dominations, une histoire mouvementée
Occupée tour à tour par les celtes, les romains – Niš est le lieu de naissance de trois empereurs ! -, les Huns, puis par les turcs, la ville devint byzantine, serbe, bulgare puis ottomane au cours du Moyen-Age. Libérée de la présence turque en 1878, elle fut alors intégrée au Royaume de Serbie.
La petite ville de Niš a donc été au cœur de nombreuses rivalités et convoitises, ce qui peut s’expliquer par son emplacement stratégique à l’intersection des routes reliant l’Asie mineure à l’Europe, et la mer noire à la méditerranée. Importantes à travers les siècles, ces routes ont porté de nombreux noms ; entre autres « Via militaris » au temps des romains et des byzantins et « route de Constantinople » au Moyen-Age. Aujourd’hui encore, ces routes représentent des axes routiers majeurs en Europe.
Qui dit rivalités dit histoires sanglantes, et Niš a son lot de récits d’horreurs – dont les Serbes se délectent. Vous avez sûrement déjà entendu parler du farouche esprit serbe, de leur mentalité empreinte de fierté et nationalisme. Cette mentalité est la cause ou la conséquence de nombreux conflits qui marquent l’histoire serbe, d’il y plusieurs siècles à la tragique guerre qui a ravagé la Yougoslavie dans les années 90.
La tour des crânes
Certains des épisodes les plus marquants du désir d’indépendance serbe se sont déroulés sous la période de domination turque, qui a duré 500 ans – du 14ème au 19ème siècle. L’exemple le plus célèbre est une tour qui se trouve à Niš.
Lorsqu’il s’agit de choisir des symboles matériels, les serbes ne font pas dans la demi-mesure. Cette tour est une véritable illustration de l’esprit d’indépendance serbe face à l’oppression ottomane… et est construite entièrement à partir de crânes humains. Ćele kula ou, en français, la tour des crânes, est un incontournable de Niš.
Le récit de la construction de cette tour donne une idée de la complexité et des épisodes d’intensité et de sauvagerie qui marquent l’histoire des Balkans.
En 1809, lors du premier soulèvement serbe contre les Ottomans, 16 000 soldats serbes insurgés approchèrent de la ville de Niš. Les Serbes creusèrent six tranchées, dont la plus importante se trouvait sur le mont Čegar, commandée par Stevan Sinđelić à la tête de 3 000 hommes.
Le 31 mai 1809, les Turcs, au nombre de 10 000 hommes, se lancèrent à l’assaut de la tranchée. La bataille du mont Čegar dura toute la journée. Quand Sinđelić se rendit compte qu’il allait être vaincu, il fit exploser ses réserves de poudre, ce qui provoqua sa propre mort, ainsi que celle de nombreux soldats serbes et ottomans.
Le grand vizir Hurşid Ahmed Paşa, qui commandait l’armée ottomane, ordonna alors, en signe d’avertissement à ceux qui désobéissaient et comme symbole de la défaite serbe, de construire la tour de Ćele kula à laquelle il fit incorporer 952 crânes appartenant aux insurgés serbes.
Loin d’avoir l’effet attendu toutefois, la tour est devenue pour les serbes un monument national qui symbolise la liberté, l’indépendance et la bravoure.
Il est d’ailleurs intéressant de se pencher de près sur les inscriptions et textes explicatifs présents dans la tour. D’une délicieuse subjectivité, les termes choisis pour décrire les actions des patriotes serbes et des occupants turcs ont tout de la propagande.
La tour est inscrite sur la liste des monuments culturels d’importance exceptionnelle de la République de Serbie. Il ne subsiste aujourd’hui que 58 crânes, dont celui de Sinđelić. En 1833, le poète Lamartine, de passage dans la région, écrivit au sujet de cette tour : « Qu’ils laissent subsister ce monument ! Il apprendra à leurs enfants ce que vaut l’indépendance d’un peuple, en leur montrant à quel prix leurs pères l’ont payée ». Un monument célébrant le souvenir de ce combat a été érigé au mont Čegar en 1927, accessible depuis Niš.
Le camp de concentration de la Croix-Rouge
Il vous est également possible de visiter une structure érigée lors d’une autre période douloureuse de l’histoire serbe ; le camp de concentration nazi de la Croix-Rouge.
En opération à partir de 1941, le camp de concentration de la Croix-Rouge servait de camp de transit, où les gens restaient jusqu’à ce qu’ils soient déportés dans les grands camps de travail forcé et les camps de la mort en Europe occupée par les nazis, tels qu’Auschwitz. Plus de 35.000 personnes l’ont traversé, et il s’est avéré une destination finale pour plus de 10.000 personnes.
Une grande partie des personnes qui y étaient emprisonnées étaient des francs-maçons libres, des gens qui dirigeaient les organisations caritatives locales et la branche locale de l’Organisation de la Croix-Rouge, d’où vient le nom du camp.
L’un des événements les plus mémorables du camp de concentration de la Croix-Rouge fut l’évasion qui eut lieu le 12 février 1942. Dirigée par l’un des partisans retenus en otage, c’était la plus grande évasion organisée d’un camp de concentration jusqu’alors. C’est le camp de concentration dont a pu s’enfuir le plus grand groupe de personnes. 147 personnes avaient commencé l’évasion, dont plus des deux tiers ont réussi.
Bien qu’il s’agissait d’un grand succès pour l’époque, et d’une source de motivation pour les prisonniers qui se trouvaient dans une situation similaire dans toute l’Europe, l’évasion a eu comme conséquence des fusillades de masse et des traitements encore plus durs. Pour punir les prisonniers restants, les nazis ont tué plus de 850 personnes cette année-là, dont tous les otages juifs et roms. Les exécutions avaient lieu dans le camp ou sur la colline de Bubanj.
La colline de Bubanj
La colline de Bubanj, à 3 km de la ville, fut un lieu d’exécutions massives des prisonniers du camp.
Après la guerre, le lieu de l’exécution a été transformé en parc commémoratif, avec un monument en forme de trois poings serrés, symbolisant la résistance des hommes, des femmes et des enfants qui sont morts sur les lieux. D’apparence épurée, ce mémorial est puissant et touchant.
Selon les témoignages et les dossiers du Comité des crimes de guerre, qui a enquêté sur les événements de Bubanj après la libération, on estime que plus de 10.000 personnes ont été exécutées à cet endroit pendant la guerre. Il convient cependant d’étudier les chiffres avec recul, car pendant la retraite, les Allemands ont réussi à détruire presque tous les documents concernant le camp de concentration et le nombre de personnes exécutées à Bubanj. Le nombre d’exécutions est donc une estimation et varie en fonction des sources.
La forteresse
Un autre site incontournable de Niš est la forteresse, qui veille sur la ville sans y paraître.
Âme culturelle, la forteresse offre un lieu de calme et de contemplation où les visiteurs peuvent trouver la sagesse éphémère qui envahit parfois les êtres en présence de pierres anciennes – témoignage d’un passé et de ce qui nous survivra.
Les remparts et les grilles de la forteresse de Niš se trouvent sur la rive droite de la Nišava depuis la première moitié du XVIIIe siècle. L’histoire de la fortification à cet endroit a commencé au Ier siècle après J.-C. lorsque les légions romaines ont ouvert la voie à une nouvelle civilisation. Construite par les Romains et les Serbes, la forteresse a été rasée et reconstruite plusieurs fois jusqu’à ce que les Ottomans lui donnent son aspect définitif en 1730.
Bâtie sur le site des anciennes fortifications romaines, byzantines et médiévales, elle est un exemple d’architecture militaire ottomane dans les Balkans. Outre les murs et les portes en pierre bien conservées, la forteresse présente de nombreux vestiges de l’histoire mouvementée de Niš.
C’est aussi un parc, une oasis de verdure au centre de la ville, avec des cafés et des aires de jeux pour enfants. Accessible gratuitement et à tout moment du jour et de la nuit, la forteresse est l’une des attractions les plus populaires de Niš, aussi bien auprès des touristes que des locaux, que l’on peut voir se promener et flâner dans le parc.
Les nuits d’été, on peut également y entendre résonner de la musique lors du festival de Jazz qui fait la réputation de la ville.
L’allée des rétameurs
Au centre-ville, Kazandžijsko sokače ou (« tinkers alley » en anglais et « allée des rétameurs » en français) est la dernière rue conservée de l’ancien bazar de Niš du début du 19ème siècle. Ce qui était à l’origine une allée d’artisans est maintenant un charmant petit passage pavé. Au fil du temps, les bâtiments ont été rénovés et transformés en restaurants, bars, tavernes et hôtels, tout en conservant l’esprit de l’architecture ancienne.
Un conseil ? A tout moment de la journée, choisissez l’un de ces restaurants ou cafés et installez-vous pour déguster un petit déjeuner serbe traditionnel ou profiter de la fraîcheur du soir, grimaçant en buvant un verre de rakija régionale. Les pieds posés sur les pavés, fermez les yeux et tentez d’imaginer à quoi pouvait ressembler la vie il y a un siècle dans une petite ville serbe, avec le bruit des sabots de cheval et du métal que l’on travaille.
Vie quotidienne à Niš
Atmosphère de jour
Lors de vos déambulations dans la ville, les opportunités de goûter diverses spécialités seront nombreuses. On retrouve dans la nourriture l’éclectisme de Niš et des Balkans en général – des baklavas au café turc en passant par les salades grecques. Où que vous soyez, une odeur de viande et de pain chaud flotte dans l’air, invitation à se laisser tenter par un börek au fromage ou un dürüm, tentation d’autant plus grande que les prix sont extrêmement compétitifs.
Entre deux chai, vous pourrez faire le plein de vitamines dans l’un des nombreux marchés de fruits et légumes. Ces petits marchés se trouvent à plusieurs endroits de la ville et vous proposent des produits au goût intense. Dans un mélange de couleurs et d’appels des marchands, vous pourrez goûter des fraises ou des champignons frais et utiliser les quelques mots de serbe que vous connaissez. Hvala !
La ville est verte – de nombreux parcs vous offriront l’opportunité de vous reposer, observer les fleurs colorées ou les personnes âgées en plein jogging. Partout, des toboggans et balançoires ainsi que des petits trains font le bonheur des enfants.
Pour les amateurs de shopping, le cœur de la ville est idéal, avec un centre commercial qui abrite les grandes enseignes internationales. Vous trouverez également un nombre compétitif de boutiques de vêtements d’occasion. Pour les plus aventureux, vous pourrez faire l’exploration des galeries souterraines, où dans une ambiance enfumée vous trouverez des bijoux et vêtements criards et kitch qui semblent être là depuis les années 90.
L’architecture de la ville est typique des Balkans, offrant un mélange d’anciens bâtiments communistes et de nouvelles constructions abandonnées, ainsi que plusieurs monuments culturels et historiques.
Plusieurs églises orthodoxes se trouvent dans la ville. Je recommande chaudement la visite de la cathédrale de la Sainte-trinité, qui émerveille par ses icônes aux couleurs profondes et vives. Si vous êtes de passage dans la ville durant le week-end, vous aurez sûrement la chance d’assister de loin à un ou plusieurs mariages.
Ambiance nocturne
La vie nocturne est à tester également, avec de nombreux bars et clubs proches les uns des autres et accessibles facilement à pied. Ce sera l’occasion de danser sur des hits des Balkans et de tester les différents alcools régionaux, et de peut-être terminer la nuit au bord de la rivière pour refaire le monde.
Ville des Balkans
Vous retrouverez à Niš ce qui fait le charme des Balkans – les bâtiments abandonnés en pleine construction, les vestiges d’une histoire mouvementée, la religion et les traditions, la propagande, les chiens errants, mais surtout les sourires des locaux, la nourriture riche aux prix imbattables, la beauté de la nature, en tout la vie qui continue, la vie simple d’un peuple qui a traversé de nombreuses épreuves et sait profiter des joies du quotidien.
L’énergie et la joie de la ville est contagieuse, en particulier au printemps et en été ; regardez autour de vous et vous aurez la chance d’être témoin de nombreux petits moments de vie serbe.
J’espère que la ville vous réservera de nombreuses rencontres et surprises,
Bon voyage !