Soyons honnêtes, il y a assez peu de chances que vous mettiez un jour les pieds à Targu Jiu. Peut-être si vous êtes supporter d’un club de basket ou de football amené à rencontrer l’Energia ou le Pandurii. Plus certainement si vous souhaitez découvrir la mythique Olténie, demeure de multiples contes et légendes. Dans ce cas, vous vous aventurerez certainement sur cette terre de monastères multicentenaires, à la recherche d’une certaine spiritualité, un état d’esprit voué à l’errance.
Quoi qu’il en soit, que vous arriviez de la capitale Bucarest, par train en provenance de l’est ou bien en bus de Timisoara, la belle du nord-ouest; Targu Jiu sera une porte d’entrée de choix en Olténie.
La salutation du leader des Pandoures
La gare et l’autogara – la gare routière- sont l’une à côté de l’autre. Sortez donc du vieux bâtiment de la gare et prenez à droite. La première impression ne sera sans doute pas très bonne. Les barres d’immeubles grisonnantes vous feront face et une circulation jamais démentie de ville de province vous agacera sans doute. Même si votre oeil expert aura peut-être le plaisir de dénicher dans l’amas de véhicules une de ces vieilles Dacia aux couleurs improbables et à la géométrie très carrée où les seuls phares accèdent au privilège de la forme arrondie.
Continuez sur cette voie principale, passez le premier rond-point. Toujours tout droit. Quelques centaines de mètres plus loin, le son d’une fontaine vous fera sans doute regarder de l’autre côté de la rue. Mais prenez garde, un homme moustachu vous défiera fièrement, tout en lui dira l’envie d’en découdre, son buste dressé en avant, l’épée dans sa main droite, les deux poignards visibles sous sa ceinture et le drapeau orné d’une croix qu’il porte fièrement. Cette homme est en mission.
Qui est-il ? Le nom du parc où se trouve cette statue est un indice, ou bien également le nom du lycée de l’autre côté du rond-point, un bâtiment imposant à la couleur crème. Tudor Vladimirescu. Voilà son nom. Un héros mythique qui s’attaqua avec une troupe de Pandoures (d’où le nom du club de football) à l’empire ottoman au XIXè. Mais nous sommes tous les mêmes, et vous aurez sans doute oublier ce nom exotique d’ici 48 heures. Asa e viata, comme on dit là-bas.
De la Table du Silence à la Colonne Infinie
Continuez, c’est encore tout droit. Une rue blanche pavée vous fera bientôt du charme sur votre droite. Peut-être reconnaitrez-vous quelques enseignes. Mais ne vous laissez pas distraire. Un triste immeuble d’habitation gris et beige de l’ère communiste vous amènera jusqu’à un nouveau rond-point. Passage clouté et là un parc. Bien entendu, votre regard se portera fatalement sur l’autre côté de la rue où le marché bruyant vaque à ses occupations. Les plus affamés sentiront certainement les odeurs de viande grillée à quelques dizaines de mètres de là. Si votre ventre le réclame, c’est peut-être le moment de s’attabler pour déguster quelques mititei en regardant tout simplement ce qui se passe aux alentours.
Mais votre instinct de touriste vous ramènera au parc. Vous pouvez le remercier. Bientôt, vous serez face au Jiu, la rivière qui donne son nom à la ville. Le point de vue sur une superbe colline vous fera aisément remarquer que la campagne n’est qu’à quelques centaines de mètres du centre-ville de Targu Jiu. Longez le bord de la rivière. Vous arriverez bientôt à un chemin perpendiculaire dans le sous-bois. La première vision sera celle d’une table avec 12 sièges autour. Si vous avez pris des sandwichs, cela peut sembler être l’endroit parfait pour déjeuner…
Mais attention touriste, tu as là face à toi une oeuvre d’art: la Table du Silence ! Un panneau vous indiquera que ce monument est le premier de l’ensemble sculptural de Constantin Brancusi, érigé dans les années 1930 en l’honneur des héros roumains de la première guerre mondiale.
Votre errance a maintenant un but. Il vous faut voir les autres pièces du puzzle. Heureusement, la Porte du Baiser n’est qu’à quelques mètres. Si vous allez à Targu Jiu au printemps ou à l’été, vous apercevrez certainement un de ces couples en habits de mariés qui se fait photographier au milieu de la Porte du Baiser. Vos yeux experts discerneront certainement les nombreuses têtes s’embrassant sculptées sur chaque côté de la porte. Une oeuvre maintes fois reproduite par Brancusi qui en avait déjà fait de nombreux exemplaires avant celui-ci, alors qu’il quitta Targu Jiu puis la Roumanie pour Paris au début du XXe siècle.
Pour trouver la troisième oeuvre de Brancusi, il vous faudra certainement demander votre chemin. « Coloana Infinitului »: c’est ainsi qu’elle se nomme. Haute d’une trentaine de mètres, cette colonne trône au milieu d’un parc où l’herbe est sa seule compagne. Cette mise en scène donne d’autant plus de prestance à cette colonne seule dans un panorama qui laisse devenir l’hiver la neige sur les vallées environnantes.
A Hobita, le village natal de Brancusi
Mais maintenant que vous êtes là, ce serait dommage de ne pas aller dans le fief de l’artiste. Pour ce faire, direction Hobita ou plutôt Pestisani dans un premier temps. Trois solutions s’offrent à vous: le bus direction Tismana et vous descendrez à Pestisani, le taxi qui vous arnaquera peut-être de quelques euros mais c’est de bonne guerre ou le maxi-taxi pour les intrépides – les taxis non homologués où vous pouvez vous retrouvez à six ou sept dans une voiture pour une dizaine de bornes. L’expérience vraie de la Roumanie. Dès les premiers cents mètres, la campagne d’Olténie vous sourira avec ses champs, ses vallées, ses milles couleurs et son air pur.
Une quinzaine de minutes plus tard, vous arrivez à Pestisani dans le centre du village. Face à vous la discothèque, derrière vous un café, à droite l’épicerie, à gauche l’arrêt de bus. Hobita sera indiqué. A deux voire trois bons kilomètres et là nul autre que vos pieds pourront vous y conduire. La petite balade vous laissera le temps de réfléchir à cette parole de Brancusi: « Les gens qui disent de mon travail qu’il est abstrait sont des imbéciles; ce qu’ils nomment abstrait est le plus réaliste, parce que ce qui est réel n’est pas représenté par une forme externe mais par l’idée derrière cette forme, l’essence des choses.«
Pendant ces centaines de mètres, vous aurez un aperçu de la Roumanie rurale. Cette vieille dame assise sur le banc devant sa maison qui vous saluera sans doute sur votre passage, ces innombrables maisons aux portails peints, aux vignes montantes et à la vitalité jamais démentie. Vous apercevrez de nombreuses générations, ils seront certainement intrigués mais toujours de manière positive.
Les habits vous paraitront peut-être un peu démodés mais ce n’est pas vraiment la préoccupation première ici. Et puis au bout du chemin Hobita. Là où le génie est né à la fin du XXe. Là où il a vécu jusqu’à l’âge de 9 ans avant de partir travailler à Craiova. En voyant cette petite maison de bois, vous vous direz certainement que le génie peut naître partout, s’il a pu prendre racine ici.
Finalement Constantin Brancusi n’aura pas vécu longtemps à Hobita ni à Targu Jiu. Il aura passé ses plus belles années à Paris puis à New York au sommet de sa vie d’artiste. Mais Targu Jiu gardera à jamais ses oeuvres et ainsi l’on pourra dire que Brancusi vivra les plus belles années de sa mort chez lui, dans cette Olténie éternelle. Une région à découvrir.
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