Auriez-vous imaginé qu’un chat puisse être le fil rouge d’un film sur la gentrification londonienne et la politique anti-migrants européenne ? Après avoir vu “Cat in the wall” réalisé par le duo bulgare de documentaristes Mina Mileva et Vesela Kazakova, vous pourrez dire que oui ! Un cocktail tragi-social détonnant, pour le moins inattendu, qui pourtant révèle toute son efficacité.

Être immigrés bulgares à Londres
Irina (interprétée par Irina Atanasova) une mère célibataire bulgare est installée à Londres avec son fils Jojo (Orlin Asenov) ainsi que son frère, Vladimir (Angel Genov). L’ouverture mouvementée du film donne le ton dès les premières minutes : des jeux d’enfants bruyants, une cuisine sens dessus dessous, l’œil distrait de Vladimir qui ne surveille pas vraiment son neveu, et Irina, rentrant exténuée, des sacs de courses à la main.
Architecte de formation, Irina est obligée de travailler en tant que serveuse dans un bar le soir. Vladimir est historien mais se confronte au système britannique qui ne reconnaît pas son expérience. Si leur situation semblait prospère en Bulgarie, elle ne l’est pas à Londres : propriétaire d’un logement social vétuste, Irina ne cesse d’essuyer les déconvenues, ne parvenant pas à décrocher un seul projet en tant qu’architecte. Vladimir est contraint d’installer des antennes télé afin de joindre les deux bouts.
Un chat dans le mur
C’est un adorable chat roux (motif à lui tout seul de voir le film) qui fait alors le lien entre les locataires et les propriétaires du petit immeuble. Ce chat, qui rôde dans les escaliers, finit par élire domicile chez Irina, au plus grand bonheur de son fils, qui le baptise Goldie.
Cela ne fera qu’attiser la haine et donner des prétextes à leur voisine, Debby, qui assure que ce chat est celui de sa petite-fille, Phoebe. On s’insulte, on se traite de « sales immigrés », les propos racistes fusent. Goldie se terre alors dans le mur de la cuisine, ne voulant plus sortir, les tensions ne feront que monter crescendo, le titre du film prend tout son sens.
Les réalisatrices utilisent avec intelligence les apparitions de ce chat à l’écran, il permet aux protagonistes d’échanger entre eux.
Irina apprendra alors que pour Phoebe, ce chat est essentiel, puisque c’est un cadeau de son père, parti avec une autre femme. Chaque personnage, à sa manière, est brisé : Phoebe est victime pendant plusieurs mois de viols perpétrés par six garçons. Debby, sa grand-mère, est dépressive, vit dans la saleté et fume de l’herbe à longueur de journée.
Ce sera pourtant en fumant un joint avec elle qu’Irina réalisera combien le gouvernement britannique n’a aucune pitié pour eux.
La gentrification londonienne questionnée
Irina, tout comme les autres propriétaires de son immeuble, est obligée de payer les frais de rénovations imposés à l’immeuble. Il doit être refait à neuf. La municipalité, en augmentant les charges des loyers, peut, au fur et à mesure, permettre à la population de ces quartiers de se gentrifier et s’embourgeoiser. En somme : « tu payes ou tu dégages ».
La colère d’Irina éclate. Cette situation particulièrement violente est servie par une mise en scène dépouillée. C’est si retenu que tout passe alors par les performances terriblement justes des acteurs. La caméra, discrète, suit les allers et retours d’Irina et son combat pour s’adapter à la vie londonienne.

Un film urgent
Non loin du cinéma de Ken Loach ou encore d’Andrea Arnold, les réalisatrices signent ici un film urgent, métaphore de la frénésie médiatique anti-migrants qui prolifère en Angleterre depuis 2010.
Cette urgence s’incarne lors d’une séquence quasiment documentaire d’une réunion des propriétaires organisée par Irina : tous se sentent injustement visés. Des immigrés comme Irina, des Brexiteurs qui ne se voient pas rester dans leur « britannicité » et souhaitent obtenir la nationalité irlandaise… Tous, se sentent poussés hors de chez eux, malgré eux, au fur et à mesure que les quartiers s’embourgeoisent.
Après deux documentaires, cette première tentative de fiction est une réussite pour Mina Mileva et Vesela Kazakova. Elles mettent en lumière des destins sinistres et tortueux dans une Londres contemporaine. C’est un film chargé politiquement, brut et nécessaire.
Présenté au Festival du Film de Locarno, raflant un prix FIPRESCI au 35ème Festival du Film de Varsovie, ainsi qu’un Meilleur Premier Film au 37ème Golden Rose Festival of Bulgarian Film in Varna, Cat in the wall accumule les petits succès.
Le film fait partie de la sélection du ArteKino Festival.
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