Turquie

Çarşı, plus qu’un groupe de supporters, un groupe de lutte

« Çarsı est contre tout, même contre lui même ! » est le genre de slogan que l’on peut entendre dans les tribunes de la Vodafone Arena, stade de l’équipe de football turque Beşiktaş. Entre les supporters de Fenerbahçe, Galatasaray et Beşiktaş, les trois grands clubs de football d’Istanbul, Çarsı a quelque chose en plus, une identité qui lui est propre et qui ne ressemble guère à celle des autres. Plus qu’un groupe de supporters, Çarsı est un véritable acteur politique.

Entre valeurs politiques et amour du football

Çarsı (qui signifie littéralement « bazar » ou « marché », d’après le nom de l’endroit où il a été crée) est né peu de temps après le coup d’état de 1980 qui a secoué la Turquie. A une époque où les droits des turcs sont bafoués, le groupe d’ultras du Beşiktaş Jimnatik Külübü s’est voulu comme un moyen d’expression pour les révoltés.

Supporters engagés et prêts à tout pour défendre leur « halk takım » (« équipe du peuple ») et leurs droits, c’est ainsi qu’apparaît, encore aujourd’hui, Çarsı. Au fil du temps, le groupe est devenu un symbole de révolution, de lutte et d’anarchie. Çarsı s’écrit d’ailleurs avec le grand A rouge d’« anarchie », façon d’affirmer ses valeurs.

Parmi les idoles du groupe, que l’on peut à coup sûr apercevoir sur des drapeaux ou des affiches lors des matchs du club de football, on retrouve le révolutionnaire argentin Che Guevara, ou encore le père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk. Et si vous pouvez vous demander quel rapport il existe entre ces deux personnages, les supporters de Beşiktaş vous répondront qu’ils représentent tous les deux la gauche progressiste, la lutte pour les droits et les libertés, et plus globalement l’idéologie du groupe. 

Çarsı est « contre tout », contre le racisme, contre l’exclusion, contre la violence et les injustices, « Beşiktaş Çarşı Faşizme karşı ! » (« Beşiktaş Çarşı est contre le fascisme !  »). Le groupe a même défrayé la chronique en défendant le droit des animaux ou même en adoptant des positions pro-environnementales.

« No pasaran ! »

C’est surtout en 2013 que l’on a commencé a entendre parler de Çarşı en dehors des matches de football. Le pays s’embrasait alors dans les manifestations de Gezi Parkı à Istanbul, contre le président turc Recep Tayyip Erdoğan qui prévoyait la destruction du parc Taksim Gezi, l’un des rares espaces verts de la ville, pour créer un centre commercial.

Initié par des groupes écologistes, le mouvement a rapidement mobilisé une grande partie de la jeunesse d’Istanbul et d’autres provinces de Turquie face aux violentes répressions policières, et se sont généralisées en mouvements contre le gouvernement de l’AKP (le Parti de la Justice et du Développement auquel appartient Erdoğan).

Les membres de Çarşı ont fait partie des groupes les plus impliqués dans les manifestations. Alors que la police turque éloignait les manifestants avec des lances à eau, les supporters les ont fièrement défiés du haut d’un bulldozer dérobé. Chercheur à l’université de Galatasaray, Jean-François Polo explique sur le site lechatnoiremeutier que si les groupes de supporters ont joué un rôle important lors des manifestations de Gezi Parkı, c’est parce qu’ils « sont capables d’aller au plus proche des camions, de s’organiser ».

Pour le chercheur, Çarşı représente « une gauche populaire, voire populiste ». « Ce groupe de supporters revendique clairement une identité de gauche anticapitaliste» continue-t-il, « […] il y a une dimension sociale dans leurs prises de position, ils peuvent dénoncer le chômage, les atteintes à l’environnement, la création des grands centres commerciaux et donc le projet de Gezi. »

Au delà des luttes, les « meilleurs supporters du monde »

Assister à un match de Beşiktaş, c’est vibrer pendant 90 minutes au rythme des cris des supporters les plus bruyants du monde. Loin d’être une métaphore, les supporters de l’équipe ont vraiment battu le record du monde de décibels.

C’était en 2013, lors d’un match de Süper Lig quand  l’équipe a vaincu Genclerbirligi 3 – 0 de l’équipe à l’aigle, déchaînant ainsi les foules et menant au record mondial de bruit: plus de 141 décibels. Et ce n’est pas la première fois que Çarşı se fait entendre.

En 2008, les supporters avaient déjà battu un record historique de décibels lors d’un match contre l’équipe anglaise de Liverpool.« L’un des publics les plus chauds du monde », l’une des « plus belles ambiances du monde » ou encore l’une des « atmosphères les plus folles », les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier le public d’exception qu’est Çarşı.

Même si tout le monde n’est pas convaincu de la forte politisation du groupe de supporters de Beşiktaş, une chose est sûre : Çarşı aime son équipe, et on le sent dans ses chansons. Parmi les dizaines de chants témoignants de l’amour des supporters, celui-ci témoigne du dévouement des ultras anarchistes de Çarşı à leur « équipe du peuple » :

« Nous sommes venus ajouter de la force à ta force

Nous sommes venus pour être la sueur sur vos maillots

Nous sommes venus pour mourir avec toi »

Charlyne Thiery

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Charlyne Thiery

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