Après le grand succès de son drame historique en trois parties, « Hořící keř » (titre français « Sacrifice », HBO Europe, 2013), qui traitait des événements entourant la mort de Jan Palach, un étudiant en histoire de Prague qui s’est immolé par le feu pour protester contre l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie en 1969, la réalisatrice mondialement reconnue Agnieszka Holland retourne une fois de plus dans le passé tchèque avec son dernier long métrage intitulé « Šarlatán » (2020) sorti en France le 30 juin sous le nom « Le Procès de l’herboriste ».
Bien que polonaise de naissance et de nationalité, Agnieszka Holland a un lien particulier avec les pays tchèques et leur histoire.
Après les années de lycée à Varsovie, elle a continué ses études à Prague et plus précisément à la FAMU, considérée comme une des meilleures écoles de cinéma du monde. Pendant cette période allant de 1966 à 1971, elle a pu observer des grands changements et bouleversements dans la société tchécoslovaque.
Tout d’abord elle était témoin du Printemps de Prague (Pražské jaro en tchèque ou bien Pražská jar en slovaque), une période, commençant avec l’arrivé au pouvoir de réformateur Alexander Dubček en janvier 1968, durant laquelle le Parti communiste tchécoslovaque introduit le « socialisme à visage humain » et prône une relative libéralisation (liberté de la presse, d’expression et de circulation etc.).
Cependant cette période ne dure pas longtemps et s’achève le 21 août 1968 avec l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie dont le but est d’imposer une « normalisation ». Ceci bien sûr entraîne des manifestations contre la mainmise soviétique sur le pays mais aussi une vague d’émigration.
Alors étudiante, Agnieszka Holland assiste à ces manifestations et est finalement arrêtée pendant un mois pour son soutien au mouvement dissident en faveur des réformes gouvernementales et de la libéralisation politique.
Ces événements ont donc beaucoup marqué non seulement l’esprit d’Agnieszka mais aussi son œuvre.
Un biopic pas comme les autres
Dans son dernier film elle revient sur cette expérience qui est un mélange d’espoir et d’impuissance, d’illusions et de désillusions d’une société face à un régime totalitaire.
Tout comme la mini-série Hořící keř, Le procès de l’herboriste est un biopic inspiré des faits réels restant relativement fidèle à l’histoire. Pourtant le film prend aussi pas mal libertés, et même selon Agnieszka Holland, il devrait être regardé plutôt comme un film d’auteur, comme une fiction.
Comme elle a pu souligner pendant l’avant-première française qui a eu lieu à Paris le 22 juin au cinéma Les 7 Parnassiens, son personnage principal, Jan Mikolášek, qui a vécu de 1887 à 1973 et qui aurait guéri plusieurs millions de personnes, était un homme assez complexe, dont on connaît peu d’informations à part quelques indices et témoignages des gens qu’il a guéri.
Il n’a écrit qu’une autobiographie très favorable à son égard, et à part quelques dossiers judiciaires il n’existe pas beaucoup de documents sur lui, sa nature ou son caractère.
Après avoir rassemblé un nombre considérable d’information sur Jan Mikolášek, son neveu Martin Šulc, est venu à la Télévision tchèque avec l’idée de réaliser un documentaire sur la vie de son oncle. Il a ensuite rencontré Marek Epstein, qui a écrit un scénario pour un long métrage en reconstituant le destin de ce guérisseur populaire tchèque à partir de faits réels, de légendes et de sa propre imagination.
Le procès de l’herboriste raconte donc l’histoire de l’ascension et de la chute de Jan Mikolášek, fils de jardinier, qui dès son plus jeune âge se passionne pour les plantes et leurs vertus médicinales.
Après avoir sauvé la jambe gangrenée de sa sœur, il commence son apprentissage auprès la guérisseuse Josefa Mühlbacherová, qui aide à développer son « don » et lui apprend à diagnostiquer les patients en observant leur urine.
Grâce à son talent exceptionnel pour le diagnostic urinaire, Mikolášek devient alors l’un des plus grands guérisseurs de son époque soignant sans distinction les riches comme les pauvres, les Allemands nazis pendant la Seconde guerre mondiale comme les fonctionnaires communistes d’après-guerre.
Cependant sa popularité et sa fortune, finiront par irriter les pouvoirs politiques.
Le film ouvre avec la mort d’Antonín Zápotocký, le Président de la République de la Tchécoslovaquie et le dernier protecteur influent de Mikolášek (on se trouve en 1957). La perte de la protection dont Mikolášek bénéficiait de la part de Zápotocký, donne les mains libres à ses détracteurs qui l’accusent du charlatanisme et il ne lui reste que de défendre ses actions et sa science lors de son procès.
Une mosaïque complexe d’un personnage ambigu
De la grisaille des moments passés en prison et devant le tribunal, nous revenons sans cesse à un passé plus ou moins lointain, caractérisé par des couleurs nettement plus riches et chaudes.
Grâce à ces va-et-vient temporels Agnieszka Holland et le scénariste Marek Epstein réussissent à retracer la vie de Mikolášek dans sans complexité en montrant les moments de son apprentissage, les traumatismes de la Première guerre mondiale, des moments d’amour et de sensualité, les épreuves difficiles pendant l’Occupation nazi etc.
Loin de manichéisme, Mikolášek est montré comme un personnage complexe qui peut paraître à la fois comme un homme strict, très narcissique, égoïste, et rude dans son comportement, mais aussi comme quelqu’un très généreux envers ses patients, comme un homme juste, qui ne profite pas de ses richesses et se consacre entièrement à sa vocation de guérir.
La relation clandestine qu’il entretien avec son assistant František Palko représente le meilleur et le pire dont il est capable (il faut savoir que pendant les deux régimes totalitaires, l’homosexualité a été considérée comme un délit, et elle n’a été légalisée en Tchécoslovaquie qu’en 1961).
Le spectateur n’est jamais l’otage de la réalisatrice, et il est libre de juger et de décider de son avis sur Mikolášek, un homme avec « un don de Dieu » hanté par des démons inavouables.
Dans notre époque trépidante ce sujet est assez d’actualité et met en évidence le problème des jugements rapides et hâtifs qui, très souvent, ne tiennent pas compte de la complexité de l’être humain.
Comme l’a répété Agnieszka Hollande pendant l’avant-première française tout ne peut être divisé aveuglément entre le bien et le mal. Parfois il est nécessaire de prendre du recul et du temps, considérer toutes les nuances, et accepter que la personne que nous essayons de juger, n’est ni noire, ni blanche, mais grise.
Conclusion
Le Procès de l’herboriste est un drame intelligent qui dépasse de loin les normes du cinéma tchèque surtout en ce qui concerne le niveau artistique.
Grâce à la cinématographie du slovaque Martin Štrba, le spectateur n’a pas besoin de sous-titres indiquant les années pour s’orienter dans les sauts temporels. Les différentes périodes sont distinguées de manière inventive notamment par la palette de couleurs et l’intensité de l’éclairage.
Également en termes de son, le spectateur a de quoi s’attendre à quelque chose.
Le personnage principal est incarné par l’un des meilleurs acteurs tchèques contemporains, Ivan Trojan et dans la version plus jeune, Mikolášek est joué par le fils de Trojan, Josef, ce qui était un très bon choix, puisque Josef ressemble à son père non seulement en apparence mais aussi en comportement.
L’acteur slovaque Juraj Loj est très convaincant dans son rôle de František Palko, l’assistant loyal et amant de Mikolášek. Le reste des acteurs a également fourni une performance impressionnante.
Le film a été présenté en première mondiale juste avant le coronavirus au festival Berlinale en février 2020. Il était censé sortir dans les cinémas tchèques en mars de la même année, mais la sortie a finalement été reportée au 20 août 2020.
Depuis, Le procès de l’herboriste a remporté plusieurs prix et a été vendu dans vingt-cinq pays.
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